Vase de Noces
Genre: Drame , Document
Année: 1974
Pays d'origine: Belgique
Réalisateur: Thierry Zéno
Casting:
Dominique Garny, des animaux...
 

Dans le long fleuve que l'histoire du cinéma dessine à mesure de son avancée, "Vase de Noces" se dresse comme un bloc de granit saillant et inattaquable qui dérangera encore longtemps les générations à venir. Rarement un film a tant suscité la controverse et, bien que jouissant d'une coquette réputation dans certaines sphères, il reste à ce jour très "underground" (aussi galvaudée que puisse être cette expression) car extrêmement peu diffusé et diffusable. Vase de Noces c'est aussi un pilier du cinéma indépendant belge qui n'est décidément pas en reste sur la scène mondiale, une onde de choc qui, à trop secouer son audience, a récolté les foudres de la censure dès sa sortie depuis la France jusqu'à l'Australie où il a déclenché la remise en cause du libre arbitre des festivals cinématographiques et reste interdit à ce jour.
Résumer le film sans le dévoiler complètement est assez délicat, aussi je vous raconterai simplement qu'on y observe un agriculteur vraisemblablement atteint de troubles psychiatriques qui trompe l'ennui et la solitude dans une obsession pour le remplissage de bocaux et une relation amoureuse avec sa truie. Après plusieurs ébats viendra une portée dont le fermier, un Dominique Garny fascinant, s'attribuera la paternité et qu'il tentera d'élever comme de bons petits humains. Mais l'instinct animal conservera le dessus et c'est la mort qui viendra punir cette union contre-nature.

 


Zoophilie, infanticide, coprophagie, suicide... ce sont des tabous très lourds que Thierry Zéno vient briser. Il explore des parties de l'âme humaine où il ne fait généralement pas bon traîner ses bottes avec une maîtrise et une singularité qui forcent le respect. Et pourtant, il n'est âgé que de 24 ans, c'est son premier long métrage et ce sera aussi son unique fiction. Le reste de sa carrière derrière une caméra sera, en effet, consacré au documentaire, avec une prédilection pour des sujets aussi difficiles que l'art, la folie et la mort.
Choquant, le film l'est. Il serait mensonger de prétendre le contraire. Cependant se limiter à cela reviendrait à négliger la substance de l'oeuvre. L'intitulé "The Pig Fucking Movie" (en balafrant le mot grossier d'un symbole de ponctuation à l'occasion aux Etats-Unis, on est jamais trop propre sur soi...) lui rend particulièrement peu justice : non seulement les actes sexuels en eux-mêmes ne représentent qu'une pincée de scènes, sont filmés sans voyeurisme particulier et sont évidemment simulés, mais en plus l'objectif de Zéno s'attarde bien plus sur l'intimité affectueuse qui lie l'homme à la bête. Celui qui vient y chercher l'extrême visuel se tournera plutôt vers le passage où notre fermier fabrique et ingurgite en boucle pendant une quinzaine de minutes une mixture à partir de ses propres selles. Que ce soit dit une bonne fois pour toute, ce film ne convient pas à tous les auditoires et, eu égard aux faibles opportunités de le croiser, vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous-même s'il n'est pas de votre goût.

 

 

Il n'est pas non plus question d'une enfilade de scènes crues. Point de tape-à-l'oeil ou de vulgarité mais une oeuvre posée, au rythme lent, faisant leur part à la solitude, au décor rural et aux étranges manies du seul personnage humain. Les très esthétiques images en noir et blanc parlent d'elles-mêmes ; l'absence de dialogue et d'éclaircissement sur les motivations du héros laisse au spectateur toute sa liberté d'interprétation. On est donc bien en présence d'une oeuvre classée "art et essai", perturbante, inoubliable et, pour ceux qui ne ferment pas les yeux, profonde et poétique.
Les évènements sulfureux qui sont relatés font écho à des questions fondamentales et récurrentes dans la culture occidentale. Peuvent être évoqués, entre autres, le mythe du Minotaure, l'holocauste infanticide d'Abraham aussi bien que des références beaucoup plus récentes comme, le courant surréaliste, Cent Ans de Solitude, Pasolini... On touche ici, sans mot dire, à des valeurs parmi les plus profondément enfouies comme la hiérarchie Homme / animal, la liberté de disposer de son existence ou encore de celle du fruit de ses entrailles, et, en l'absence de jugement moral rassurant, c'est nécessairement perturbant. L'ultime provocation se situe dans l'accompagnement musical qui emprunte les somptueuses polyphonies médiévales de Pérotin, contraste blasphématoire de l'image pécheresse et la musique sacrée. Par ailleurs, le lyrisme de Monteverdi et les quelques expérimentations électroniques qu'on y croise ne manquent pas de détonner non plus.

 

 

Outre la sensibilité des thématiques qu'il aborde de front, le film suscite une certaine anxiété par le doute qu'il laisse planer : et si cet homme était le dernier, dans le monde réel ou dans le sien ? N'avons-nous pas ici un solitaire qui tente désespérément de donner un sens à son existence en essayant, malgré tout, de se fabriquer une famille ? Chargée de symboles forts et d'interrogations sous-jacentes, la séance n'est pas prête de laisser le spectateur hardi regagner sa vie paisible...
A ébranler trop de certitudes et d'interdits, à mettre à l'épreuve les limites de la liberté, à refléter des parties de soi que l'Homme préférerait ne pas voir et à proposer un scénario de fin de l'humanité auquel on aimerait ne pas penser, tout cela en se passant du verbe ou d'un confortable second degré, "Vase de Noces" apparaît comme une oeuvre unique, puissante et vouée à l'éternité, dans l'estime comme dans le mépris.

 

Princesse Rosebonbon
 
A propos du film :
 
# Alors que les autorités Australiennes laissaient les festivals de cinéma exercer eux-mêmes leur censure, "Vase de Noces" et "L'Empire des Sens", respectivement en 1975 et 1976, vont créer la rupture. En effet le gouvernement d'Australie de l'Ouest, agacé par l'insolente indépendance et la notoriété grandissante du Perth Film Festival, décide d'interdire "Vase de Noces" pour indécence. Les organisateurs et Thierry Zeno firent appel et le film fut bien projeté lors de l'édition 1975 du festival.
Cependant l'année suivante les autorités amères obtinrent une double victoire. D'une part la censure frappa "Vase de Noces" et il reste à ce jour interdit d'exploitation en Australie. D'autre part ils menacèrent les organisateurs du festival de faire passer l'intégralité de leur programme à l'examen s'ils persistaient à vouloir projeter le film d'Oshima. "L'Empire des Sens" fut donc retiré du programme pour sauver l'évènement. Ultime coup dur pour le Perth Film Festival, le dernier film fut projeté la même année lors des festivals plus "grand public" de Sidney et Melbourne sans que personne y trouve à redire. Source : www.refused-classification.com.
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