Richard Kern
Écrit par Valor   

 

Le Cinéma de la Transgression


"Si ce n'est pas transgressif, ce n'est pas underground. Il faut mettre en danger le statu quo en agissant de manière surprenante, au lieu de se contenter d'imiter ce qui a déjà été fait" - Nick Zedd

A la fin des années 70, la No Wave, scène musicale post-punk new yorkaise représentée par Teenage Jesus and the Jerks de Lydia Lunch, The Contortions de James Chance, Mars ou D.N.A., inspire de nombreux artistes, performers, photographes ainsi que des réalisateurs comme Amos Poe, Eric Mitchell, James Nares, Michael Oblowitz, Vivienne Dick ou Scott et Beth B. qui seront les véritables précurseurs du 'Cinéma de la Transgression', même s'il convient de ne pas négliger l'influence des Frères Kuchar, de Jack Smith, d'Andy Warhol ou de John Waters dans les années 60 et 70.

Dès son premier film They Eat Scum (1979), Nick Zedd se distingue de ses prédécesseurs par son nihilisme, sa volonté de dégoûter et l'absence de tout commentaire social ou politique.

 

(Photo : Annie Sprinkle)


Six ans plus tard, Zedd publie son...

 

Manifeste du cinéma de la transgression


"Ayant enfreint les règles, les préceptes et les devoirs de l'avant-garde ; c.-à-d. ennuyer, anesthésier et fourvoyer par un processus aléatoire dicté par le pragmatisme, nous plaidons coupable. Nous renions ouvertement et rejetons le sempiternel snobisme académique qui a érigé un monument à l'apathie connue sous le nom de structuralisme et a entrepris d'exclure les réalisateurs qui possèdent suffisamment de clairvoyance pour ne pas se laisser duper.

Nous refusons d'adopter leur approche désinvolte de la créativité cinématographique, une approche qui a détruit l'Underground des années 60 lorsque le fléau des écoles de cinéma a pris le pouvoir. Légitimant les plus insignifiantes réalisations foireuses entreprises par une génération d'étudiants bernés, les sinistres centres d'arts médiatiques et les critiques de cinéma séniles ont totalement ignoré les oeuvres exaltantes de ceux de notre rang : les invisibles de l'Underground comme Zedd, Kern, Turner, Klemann, DeLanda, Eros et Mare, et DirectArt Ltd, une nouvelle génération de réalisateurs osant se libérer des camisoles de force suffocantes de la théorie du cinéma en attaquant directement tous les systèmes de valeur connus.

Nous proposons de faire exploser toutes les écoles de cinéma et de ne plus jamais refaire de films ennuyeux. Nous postulons que le sens de l'humour est un élément essentiel qui a été mis au rebut par les universitaires gâteux, mais également que tout film qui ne choque pas ne vaut pas la peine d‘être vu. Toutes les valeurs doivent être contestées. Rien n'est sacré. Tout doit être remis en question et réexaminé afin de libérer nos esprits de la foi de la tradition. Le développement intellectuel exige que des risques soient pris et que des changements se produisent dans les orientations politiques, sexuelles et esthétiques, même si cela doit déplaire. Nous proposons d'aller au-delà de toutes les limites fixées ou prescrites par le bon goût, la morale ou tout autre système de valeurs traditionnel qui entrave les esprits des hommes. Nous dépassons et rejetons les limitations des millimètres, des écrans et des projecteurs pour aller vers un état de cinéma élargi.*

Nous enfreignons le précepte et la règle nous dictant de faire mourir d'ennui les spectateurs par des rituels de circonlocution et proposons de briser tous les tabous de notre époque en péchant autant que possible. Il y aura du sang, de la honte, de la douleur et de l'extase, comme personne n'en a encore imaginé. Personne n'en sortira indemne. Puisqu'il n'y a aucune vie après la mort, le seul enfer est l'enfer de la prière, de l'obéissance aux lois et du rabaissement de soi devant des figures d'autorité, le seul paradis est le paradis du péché, être rebelle, s'amuser, baiser, apprendre de nouvelles choses et briser autant de règles que possible. Cet acte de courage s'appelle la transgression. Nous proposons la transformation par la transgression: pour nous convertir, nous transfigurer et nous transmuer à un degré d'existence plus élevé afin d'approcher la liberté dans un monde rempli d'esclaves inconscients."


* Le concept de cinéma élargi (Expanded Cinema) est emprunté à l'Underground des années 60 et à Warhol en particulier. Il s'agit d'expérimenter de nouvelles formes de projection : installations, projections multiples, accompagnement de concerts ou de performances, etc...



Zedd a entre-temps été rejoint par d'autres cinéastes comme Richard Kern, Tommy Turner, Richard Klemann, Manuel DeLanda, Bradley Eros et Aline Mare (Erotic Psyche), eux-mêmes ignorés par la presse pourtant censée représenter la contre-culture et bannis des cinémas et festivals 'd'avant-garde'.

Le Cinéma de la Transgression se développe donc en marge, à l'intérieur d'une petite communauté qui organise elle-même des projections au cours de performances ou de concerts. Certaines projections sont émaillées d'incidents et sont parfois interrompues par la police ou des spectateurs mécontents.

Après 1987, des conflits éclatent entre les divers protagonistes du mouvement. Nick Zedd estime qu'on l'a "poignardé dans le dos" et que seuls ses films ne l'ont pas "trahi"...

Zedd qualifia un jour son mouvement de"Cinéma Invisible", ce qui s'est confirmé par la suite : la quasi-totalité des oeuvres de ces réalisateurs sont introuvables, Kern et Zedd sont les seuls à avoir été édités en vidéo puis en DVD. Signalons en passant que la France est un des rares pays au monde où leurs films ont pu être vus, grâce à Haxan puis au Chat qui Fume.
Zedd sortira tout de même une cassette vidéo en 1986 (rééditée en DVD-R) regroupant deux de ses films, des courts de Kern, Tommy Turner, Richard Klemann, Erotic Psyche, Manuel DeLanda ainsi que Michael Wolfe, Lung Leg et John Spencer, plus connu en tant que musicien dans Pussy Galore, Boss Hog ou Blues Explosion !

 

 

Richard Kern

 


Kern est né en 1954, à Roanoke Rapids, en Caroline du Nord. Son père est reporter pour un journal local et il l'accompagne souvent en reportage. Il fréquente l'université, découvre le rock et se met à éditer des fanzines trash. Il déménage à Philadelphie puis à New-York où il travaille pour Beth B., rencontre Nick Zedd et achète une caméra Super 8 afin de réaliser son premier film :

- Goodbye 42nd Street (1983)
Couleur, 4 minutes.
Musique : Lydia Lunch, Clint Ruin, Norman Westburg.
Kern promène sa caméra dans la 42ème Rue et filme les vitrines des sex-shops et des cinémas spécialisés dans les films d'exploitation. (Kern raconte y avoir vu "Cannibal Holocaust", "Cannibal ferox" et "Shocking Asia"). A ces plans extérieurs se mêlent des scènes de suicides et de meurtres...

 

 

Kern filme ensuite un groupe de junkies pour Zombie Hunger et Zombie Hunger 2 (1984) qui ne seront jamais distribués.
C'est à cette époque qu'il se met à consommer régulièrement des drogues dures...

Sa rencontre avec Lydia Lunch donnera naissance à l'un de ses courts les plus célèbres :

- The Right Side of My Brain (1984)
Noir et blanc, 23 minutes.
Avec Lydia Lunch, Clint Ruin, Henry Rollins...
Musique : Lydia Lunch et Lucy Hamilton.

 

 

Kern et Lunch explorent les relations de pouvoir qui s'établissent dans les relations sexuelles en illustrant le concept de 'victime consentante' (Willing Victim) cher à Lunch. Une jeune femme est maltraitée par des partenaires plus psychopathes les uns que les autres mais parvient à garder un certain contrôle sur eux... avant de devenir à son tour tortionnaire !

- Manhattan Love Suicides (1985)
Noir et blanc, 35 minutes.
Avec David Wojnarowicz, Bill Rice, Nick Zedd, Adrienne Altenhaus...
Musique : J.G. Thirlwell et Dream Syndicate.


Regroupe 4 courts :


Dans Stray Dogs, un jeune homme se coupe un bras pour enfin réussir à attirer l'attention d'un peintre.

 

 

Dans Woman at the Wheel, une jeune femme est confrontée à ses deux petits amis machos qui refusent de la laisser conduire.

 

 

Dans Thrust in Me, (co-réalisé avec Nick Zedd) un jeune homme se livre à la nécrophilie sur le cadavre de sa petite amie qui vient de se suicider ! A noter que c'est Nick Zedd qui joue à la fois le rôle de l'homme et de la femme.

 

 

Dans I Hate You Now, une jeune femme se brûle le visage avec un fer à repasser afin de ressembler à son petit ami défiguré...

 

 

- Submit to Me (1985)
Couleur, 12 minutes.
Avec Lydia Lunch, Clint Ruin, Tom Turner, Audrey Rose, etc.
Musique : Butthole Surfers.

Kern délaisse la narration mais développe son propre style et ses thèmes favoris dans ce montage de scènes de sexe, meurtres et suicides plus élaboré que les précédents.

- You Killed Me First (1985)
Couleur, 12 minutes.
Avec Karen Finley, David Wojnarowicz et Lung Leg.

 

 

Souvent comparé aux films de John Waters. Lung Leg y joue une adolescente rebelle frustrée et humiliée par une famille modèle (en apparence) qu'elle finira par trucider.

- Death Valley '69 (1986)
Couleur, 7 minutes.

 

 

Premier clip vidéo tourné pour Sonic Youth. Kern renouvellera l'expérience en 1991 avec Scooter and Jinx (Moneylove).
Inspiré par l'affaire Charles Manson, les Sonic Youth y tiennent le rôle de la"Famille"et de leurs victimes. On y voit aussi des plans 'live', des extraits de"Submit to Me"et des images de bombardements.
Sonic Youth a également utilisé des photos de Kern pour les pochettes de "Evol" (1986) et "Sister" (1987).

- Fingered (1986)
Noir et blanc, 25 minutes.
Avec Lydia Lunch, Lung Leg et Marty Nations
Musique : Lunch et J.G. Thirlwell.

 

 

Nouvelle collaboration avec Lydia Lunch, elle y interprète une jeune femme malmenée par un petit ami violent qui utilise son revolver comme un godemiché avant de la prendre sur le capot de la voiture tandis qu'elle vide le chargeur de l'arme en tirant en l'air... Le couple poursuit son périple en agressant une jeune auto-stoppeuse.

- Pierce (1986)
Couleur, 9 minutes.
Avec Audrey Rose.

 

 

Premier véritable documentaire de Kern qui filme sa petite amie en pleine séance de piercing.

- The King of Sex (1987)
Couleur, 5 minutes.
Avec Nick Zedd, Rick Strange, et Audrey Rose.

Musique : Killdozer.
Nick Zedd se bat avec deux filles sur un lit puis on le voit déguisé en femme essayer de faire une fellation à Rick Strange.

- Submit to Me Now (1987)
Couleur, 17 minutes.
Avec Nick Zedd, Cassandra Stark, Lydia Lunch, Audrey Rose, Kern, Clint Ruin, Lung Leg...
Musique : Thurston Moore, J.G. Thirlwell, Bewitched, Black Snakes...

Tout comme dans "Submit to Me" on retrouve dans ce montage les thèmes de prédilection de Kern : le sexe et de violence.

A la fin de ce tournage, Kern décide de ne plus réaliser et de se consacrer à la musique. Il rejoint le groupe"The Black Snakes" puis quitte New York et s'installe à San Francisco où il rencontre le fameux G.G Allin, avec qui il monte un groupe,"The Drug Whores"dont tous les membres sont toxicomanes ou dealers... Il côtoie alors les pires 'freaks' et mène une existence des plus dangereuses...

En Septembre 1989, il revient à New York, décide d'abandonner définitivement la drogue et de reprendre son oeuvre cinématographique.
Cette transition sera illustrée dans :

- The Evil Cameraman (1986, 1990)
Couleur, 12 minutes.
Avec Jap Anne, Ice Queen, Kern, Little Linda et Jackie O. Musique: Foetus Corp.

Dans la première partie, tournée en 1986, Kern malmène une jeune asiatique attachée à une échelle puis une blonde suspendue aux murs de son vieil appartement sur une musique tonitruante. La deuxième partie démarre par l'indication "Deux ans plus tard". Kern se livre toujours à des séances photos bondage mais à présent, la musique est douce, l'appartement est neuf et Kern utilise des rubans à la place des fils de fer !
Kern indique ainsi la nouvelle direction que prend sa carrière : la violence et l'horreur font place au S.M. glamour ("porno chic") à la manière du photographe Eric Kroll dont le travail l'a fortement inspiré.

- X is Y (1990)
Couleur, 4 minutes.
Avec Tomoya, Jackie O, Linda Serby, Cassandra Stark et Cristina Martinez .
Musique : Cop Shoot Cop.

 

 

Dans la plus pure tradition américaine des"Girls with Guns", Kern nous présente une série de jolies filles, dont Cristina Martinez de Boss Hog (voir la jaquette de Hardcore Extended") jouant avec des armes à feu.

- Scooter and Jinx (Moneylove) (1990)
Couleur, 1.14 minute.
Avec Linda Serbu et Karen Disney.

Le deuxième clip vidéo de Kern pour Sonic Youth, extrait de l'album "Goo" (Geffen Records) nous présente deux jeunes femmes durant une séance photo.

- Tumble (1991)
Couleur, 4 minutes.
Avec Linda Serbu.
Musique : Pitt and the Dreamers.

Dans ce court curieusement resté inédit, une jeune femme se livre à des exercices physiques entre la danse et la gymnastique.

- Nazi (1991)
Couleur, 2 minutes.
Avec Annabelle Davies.
Musique : Budenholzer.

 

 

Annabelle Davis quitte son uniforme nazi et termine son strip-tease par un salut hitlérien devant le drapeau américain.

- Catholic (1991)
Noir et blanc, 2 minutes.
Avec Fee.
Musique : Budenholzer.

 

 

Une jeune catholique d'apparence austère change de personnalité lorsqu'elle revêt une robe de soirée.

- Horoscope (1991)
Couleur et noir et blanc, 5 minutes.
Avec Holly Adams, Bob Drywall et Squeak Wilentz.
Musique : Budenholzer.

Une jeune passionnée d'astrologie regarde la télé et se met à rêver qu'un génie très sexy vient lui rendre visite.

- The Bitches (1992)
Noir et blanc, 10 minutes.
Avec Linda Serbu, Annabelle Davies et Charles Wing.
Musique : Jim Coleman.

Kern renverse les clichés du film porno en mettant en scène deux filles qui transforment un homme en esclave sexuel en utilisant des godes-ceintures.

- The Sewing Circle (1992)
Couleur, 7 minutes.
Avec Kembra Phfaler, Lisa Resurrccion et Carrie Coakley.

 

 

Deuxième documentaire sur l'univers des modifications corporelles, il s'agit cette fois de Kembra Phfaler qui se fait faire une infibulation.

- Detachable Penis (1993)
Couleur, 4 minutes.
Clip vidéo pour King Missile. Produit par Atlantic Records.

Le chanteur du groupe parcourt Manhattan à la recherche de son pénis !
A noter qu'une version censurée et une intégrale circule sur youtube.

- My Nightmare (1993)
Couleur, 5 minutes.
Avec Susan McNamara et R. Kern.
Musique : Jim Coleman.

Kern fantasme sur l'un de ses modèles mais il se rendra compte que celle-ci n'est pas du tout consentante.

- Room 429 (1993)
Noir et blanc, 5 minutes.
Clip vidéo pour Cop Shoot Cop. Produit par Interscope Records.

- Divine Hammer (1993)
Couleur et noir et blanc, 2.5 minutes.
Clip vidéo pour The Breeders. Co-réalisé par Kim Gordon (Sonic Youth) et Spike Jonze. Produit par Elektra Records.

- Body Bomb (1993)
Couleur, 5 minutes.
Clip vidéo pour Unsane.
Produit par Matador Records.

- Love Is... (1994)
Couleur, 3.5 minutes.
Deuxième clip vidéo pour King Missile.
Produit par Atlantic Records.

- Lunchbox (1994)
Couleur, 5 minutes.
Clip vidéo pour Marilyn Manson.
Produit par Interscope Records.

Depuis 1993, Kern ne se consacre plus qu'aux clips vidéo et à la photo 'de charme'. Il publie régulièrement dans des magazines de mode comme "Nylon, i-D, Spoon", Purple ou pornos comme "Barely Legal, Tight, Live Young Girls, Finally Legal, Candy Girls..."

 

Il s'occupe aussi d'un site 'pour adultes':

 

 

Plusieurs recueils de ses photos ont été édités :

 

 


En rapport avec Richard Kern :

 

# "Deathtripping : An Illustrated History of the Cinema of Transgression" de Jack Sargeant (Creation Books)

 

 

# "Llik Your Idols" de Angélique Bosio :

 

- Sur Arte tv : http://www.arte.tv

- Sur myspace :http://www.myspace.com/llikyouridols

 

# La fiche dvd du Chat qui fume de "Hardcore extended"

 

# Richard Kern sur Youtube