La série Sherlock Holmes (1939-1946)
Écrit par Francis Moury   



Cette série comporte l'ensemble hollywoodien des Sherlock Holmes interprétés par le comédien Basil Rathbone (1892-1967), donc environ une quinzaine d'aventures tournées de 1939 à 1946 mettant en scène le célèbre détective inventé par Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930). La majorité des épisodes fut produite et réalisée par le cinéaste américain Roy William Neill de 1943 à 1946 pour le compte de la Universal, à l'exception des deux premiers titres produits par la Fox en 1939, respectivement signés par Landfield et Werker, et du troisième de 1942 produit par la Universal mais réalisé par John Rawlins.

 

Cette série avec Rathbone fut lancée à Hollywood en 1939 par une version Fox assez luxueuse du célèbre Chien des Baskerville, signée Sidney Lanfield puis par Les Aventures de Sherlock Holmes, signé par Alfred Werker, dans laquelle apparaît l'ennemi juré de Holmes, le démoniaque professeur Moriarty (ici joué par George Zucco). Cette version 1939 signée Lanfield n'était évidemment pas la première adaptée du roman de Sir Arthur Conan Doyle dans l'histoire du cinéma fantastique mondial : mentionnons, parmi quelques autres, la version muette anglaise de 1921 signée Maurice Elvey puis la version parlante allemande de 1929 signée Richard Oswald, d'ailleurs récemment restaurée. Elle demeure, en revanche, la première version parlante classique produite aux USA par Hollywood. Longtemps inaccessible aux historiens français du cinéma fantastique qui se contentaient de la mentionner dans les filmographies sans pouvoir en fournir la moindre critique, elle est aujourd'hui restaurée et visible en Blu-ray. Historiquement pas inintéressante, elle demeure nettement inférieure (pour des raisons que je détaillerai ci-dessous, la première d'entre elles étant bien évidemment l'introduction par le remarquable scénario écrit par Peter Bryan du personnage féminin joué par l'érotique Marla Landi) à la version anglaise en couleurs, signée par Terence Fisher en 1959 et dans laquelle Peter Cushing incarnera un Holmes qui est le digne successeur de la conception dramaturgique de Rathbone.

Car il ne faut pas se lasser de répéter que Basil Rathbone demeure un des acteurs classiques du cinéma fantastique, depuis sa belle création du Fils de Frankenstein (USA 1939) de Rowland V. Lee à celle, si étonnante par son expressionnisme mesuré, de l'hypnotiseur démoniaque dans la section des Tales of Terror L'Empire de la terreur (Tales of Terror, USA 1962) de Roger Corman qui adaptait l'histoire extraordinaire d'Edgar Poe intitulée L'Étrange cas de M. Valdemar. Rathbone créa un Holmes incarnant parfaitement les enjeux du personnage imaginé par Sir Arthur Conan Doyle, même lorsque les intrigues n'étaient pas directement adaptées de lui mais étaient originales ou, parfois, adaptées mais aménagées et transposées à l'époque moderne.

 

 

 


Rathbone compose, en effet, d'emblée son personnage de Holmes comme une sorte de lumière rationnelle vacillante, confrontée à des ténèbres terrifiantes, à un monde irrationnel où sortilèges et mort menacent sans cesse l'ordo rerum. Jamais plus Rathbone ne devait retrouver un rôle aussi populaire, auquel il demeure identifié en dépit du fait que sa collaboration avec Hollywood ait couvert presque tous les genres. Considérant sa collaboration avec des cinéastes aussi divers que Michael Curtiz ou Bert I. Gordon, on peut dire que Rathbone aura, durant sa carrière, aussi bien mérité du cinéma classique de série A que du cinéma de genre de série B mais que c'est néanmoins ce dernier qui lui permit assurément d'exprimer sa pleine mesure.

L'écrivain anglais Sir Arthur Conan Doyle qui imagina ce détective, si freudien par certains aspects, s'intéressait au surnaturel et il avait écrit des contes fantastiques : La Hachette d'argent, par exemple (1). Certaines aventures de Sherlock Holmes produites et réalisées par Neill, y compris celles adaptées directement de Conan Doyle, sont parfois autant des contes fantastiques que des nouvelles policières. C'est précisément cet arrière-plan authentiquement victorien (même lorsque les transpositions sont éventuellement contemporaines) que Basil Rathbone, quel que soit le cinéaste qui le dirige mais particulièrement lorsqu'il est dirigé par Neill, s'attache à faire passer constamment dans son interprétation. C'est aussi la raison pour laquelle il forme un tandem si remarquable avec l'acteur Nigel Bruce qui incarne le Dr. Watson : Watson-Bruce, c'est l'esprit enfantin et simple, pragmatique et jovial, auquel le spectateur moyen, enfant comme adulte, est appelé à s'identifier (conception classique du personnage qui sera modifiée et orientée vers un caractère plus adulte par l'acteur André Morell dans la version Fisher 1959 du Chien des Baskerville). Rathbone incarnant pour sa part ce que le cinéaste Roger Corman avait défini comme l'essence même de la peur dans le fantastique : l'idée d'une connaissance supérieure, d'une culture supérieure permettant d'apercevoir des dangers inconnus du vulgaire, de rompre la trame apparente des événements afin d'être en mesure d'y révéler la vérité... et quelle vérité ! Car la vérité, dans les aventures de Holmes comme dans celles de son émule Harry Dickson écrites par Jean Ray, est souvent bien plus invraisemblable et terrifiante encore que les événements qui la dissimulent durant l'intrigue.

Cet aspect fantastique, immanent à la conception de Conan Doyle, sera considérablement accentué par le grand producteur réalisateur Roy William Neill (1887-1946) dans la mesure où ce vieux routier du muet puis du parlant réalisa les épisodes (chaque histoire se tenant d'une pièce, ayant son début, son milieu et sa fin) les meilleurs de la série, les plus fantastiques, les plus authentiquement terrifiants, les plus plastiquement beaux. Car Roy William Neill reprend la série l'année même où il vient de réaliser pour la Universal Frankenstein rencontre le loup-garou (USA 1943). Il est alors au sommet de son inspiration plastique et signe, durant toute l'année 1944 puis début 1945, les meilleurs titres de la série Sherlock Holmes / Basil Rathbone, à savoir (et dans cet ordre chronologique de production-réalisation) La Femme aux araignées, La Griffe sanglante, La Perle des Borgia, La Maison de la peur, La Femme en vert.

 


Au hasard des génériques, qu'il s'agisse des deux premiers Fox ou bien des Universal suivants, on retrouve non seulement un casting régulièrement remarquable (les actrices Ida Lupino, Hillary Brooke, Evelyn Ankers, Gale Sondergaard, Patricia Morison et les acteurs Nigel Bruce, George Zucco, Lionel Atwill, John Carradine, Henry Daniell, sans oublier Skelton Knaggs, Angelo Rossitto, Rondo Hatton : il faudrait en citer d'autres encore...) mais aussi, dans le cas de la période Universal 1943 à 1946, certains des techniciens les plus renommés pour leur contribution à l'âge d'or fantastique de la firme : le directeur artistique et décorateur Russell A. Gausman, le compositeur musical Hans J. Salter, le technicien des effets spéciaux John P. Fulton, le maquilleur Jack Pierce. Autre cas intéressant : le futur cinéaste du si beau Gorgo (USA 1961), j'ai nommé Eugène Lourié, n'a pas participé à cet âge d'or Universal mais il participera à celui de la science-fiction et du fantastique américain de la période 1950-1970. On le trouve crédité co-directeur artistique au générique d'ouverture de La Maison de la peur (1944).

Ces titres sont contemporains, concernant l'histoire du cinéma fantastique, de ce qu'on a nommé la période décadente 1939-1945 de la Universal Pictures. On se souvient que son âge d'or est considéré comme étant contenu dans les bornes temporelles 1931 (le Dracula de Tod Browning) à 1939 (Le Fils de Frankenstein de Rowland V. Lee) mais on peut discuter cette chronologie en faisant observer que la supposée période décadente de 1939-1945 est non moins riche en titres inspirés et baroques : ceux de Roy William Neill, bien sûr, sans oublier les admirables et si purs films fantastiques que sont Le Spectre de Frankenstein (USA 1942) de Erle C. Kenton, La Maison de Frankenstein (USA 1944) de Erle C. Kenton, La Maison de Dracula (USA 1945) de Erle C. Kenton.

Il est, en outre, bien difficile, lorsqu'on visionne La Femme en vert, de ne pas penser que ce titre de Neill est contemporain du Jack l'éventreur (The Lodger, USA 1943) de John Brahm et du Hangover Square (USA 1944) du même John Brahm. Le cauchemar et la folie y planent aussi lourdement chez Neill que chez Brahm, ce dernier héritier de la double tradition romantique puis expressionniste allemande et qui s'illustrera, à partir de 1956, dans d'excellents épisodes de la série Alfred Hitchcock présente. Durant cette même période, une actrice aussi belle que Hillary Brooke (1914-1999) peut aussi bien interpréter La Femme en vert que camper une maléfique médium / espionne nazie dans la plus belle séquence néo-expressionniste du si beau Espions sur la Tamise (The Ministry of Fear, USA 1944) de Fritz Lang, adapté de Graham Greene.

Enfin, il ne faut pas négliger les épisodes patriotiques (un signé par Rawlins et les autres signés par Neill) mettant aux prises Holmes avec des espions nazis, tournés en pleine Seconde guerre mondiale : Sherlock Holmes et la voix de la terreur, Sherlock Holmes et l'arme secrète, Sherlock Holmes à Washington. Ils réservent leur lot de surprises. De même qu'il ne faut pas négliger non plus les épisodes moins fantastiques d'allure, semblant davantage purement policiers (un signé par Werker, tous les autres par Neill) à savoir : Les Aventures de Sherlock Holmes, Échec à la mort, Le Train de la mort, Mission à Alger, La Clé dans la mesure où ils sont, eux aussi, régulièrement traversés par de purs instants fantastiques.

 


On le voit bien : cette série Sherlock Holmes avec Basil Rathbone distille sans doute certains des derniers feux baroques de l'âge d'or authentique du cinéma fantastique américain parlant dont les bornes réelles sont, en vérité, 1931-1945.

Par la suite, trois titres européens en restitueront très bien l'esprit tout en en modernisant la forme : le Hammer Film en couleurs Le Chien des Baskerville (GB 1959) de Terence Fisher, avec Peter Cushing (Holmes) et André Morell (Dr. Watson), la production majoritairement allemande de la C.C.C. fondée par Arthur Brauner Sherlock Holmes et le collier de la mort (RFA-Fr.-Ital. 1962) de Terence Fisher avec Christopher Lee (Holmes) et Thorley Walters (Dr. Watson), Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur (A Study in Terror, GB 1965) de James Hill avec John Neville (Holmes) et Donald Houston (Dr. Watson) scellant, dans les trois cas, un alliage réussi entre film noir policier et cinéma fantastique, dans la droite lignée de ceux filmés par Roy William Neill durant les années 1944-1945. Ils y ajouteront tous les trois l'écran large (en couleurs pour les titres de 1959 et 1965, en N&B pour le titre de 1962) et, surtout, une violence graphique parfois sanglante ainsi qu'un érotisme davantage sulfureux, ce dernier incarné respectivement par les belles Marla Landi (1959), Senta Berger (1962), Edina Ronay (1965). Mais il faut bien comprendre que sans la série 1939-1946, en particulier sans la section 1944-1945 de cette série, cette efflorescence n'eût probablement pas été possible : c'est la raison pour laquelle on peut aujourd'hui considérer qu'elle est classique. Et qu'elle ressort aussi bien des classiques du film noir policier que des classiques du cinéma fantastique. Double raison de faire sa connaissance.


(1) Arthur Conan Doyle, La Hachette d'argent, traduit en français par Jean de Gail in L'Angleterre fantastique de Defoe à Wells, 22 contes de revenants et de terreur choisis et présentés par Jacques Van Herp, éditions André Gérard, Bibliothèque Marabout, Verviers (Belgique) 1974, pages 267 à 280.

 


 

FILMOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE :

 

 

 

Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles)

Origine : USA

Année : 1939

Réalisation : Sidney Landfield

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Wendy Barrie, Richard Greene, Lionel Atwill, John Carradine...

 

Le Chien des Baskerville rencontra un tel succès public qu'il devint le premier film de la série Sherlock Holmes (1939-1946) avec Basil Rathbone et Nigel Bruce dans les rôles principaux de Holmes et de Watson. C'est la première grande version américaine parlante et l'une des plus fidèles au roman homonyme original (1901) de Sir Arthur Conan Doyle. C'est l'une des aventures de Holmes qui appartient, dans l'histoire de la littérature comme dans l'histoire du cinéma, autant au genre fantastique qu'au genre policier. Ses adaptations cinématographiques oscilleront, depuis les versions muettes jusqu'à la version parlante 1959 signée Terence Fisher, toujours davantage entre film noir policier et film fantastique d'horreur et d'épouvante.

 

 

Produite en écran standard 1.37 en noir & blanc, dotée d'un budget assez luxueux et d'un casting d'assez haut vol par la Fox, cette version 1939 est réalisée d'une manière honnête mais assez impersonnelle par Lanfield. On chuchote qu'Alfred Werker contribua à la réalisation : étant donné que ce même Werker devait signer quelques mois plus tard le second épisode purement victorien de la série lui aussi produit par la Fox, ce n'est nullement impossible mais le générique attribue néanmoins assurément à Landfield la réalisation. Ce n'était évidemment pas la première adaptation du roman dans l'histoire du cinéma fantastique. Mentionnons la version muette anglaise de 1921 signée Maurice Elvey, celle allemande sonore de 1929 signée Richard Oswald (récemment restaurée mais un peu décevante compte tenu de sa filmographie si remarquable), celle anglaise sonore de 1931 signée Gareth Gundrey. Longtemps inaccessible aux historiens français du cinéma fantastique (qui se contentaient de la mentionner dans les filmographies sans pouvoir en fournir la moindre critique) cette version Landfield 1939 est visible depuis 2011 aux USA dans une copie argentique bien restaurée en haute définition sur Blu-ray.

 

Son découpage est assez proche de celui de la version Oswald de 1929 et il sera en partie (inévitablement puisque c'est le même matériel romanesque qui est à chaque fois adapté) repris par Fisher en 1959. Une comparaison des trois versions (la version Oswald 1929, la Landfield de 1939 et la Fisher de 1959) met en lumière les innovations apportées par Fisher en 1959. D'abord l'innovation majeure : l'introduction en 1959, dans le scénario de Peter Bryan, de l'érotisme maléfique dégagé par le personnage féminin interprété par l'actrice Marla Landi, personnage absent des versions 1929 et 1939. Autre innovation remarquable de la version Fisher : la violence graphique ahurissante de la section introductive narrant la légende des Baskerville : défenestration, torture, chasse du gibier humain par une meute de chiens hurlants, assassinat à coups de couteau sanglant. La version Oswald comme la version Landfield font très pâle figure, par comparaison. Inutile de préciser que la photo en couleurs signée par Jack Asher de la version 1959 de Fisher constitue une innovation plastique fondamentale : les critiques américains ont tendance à s'extasier patriotiquement devant la reconstitution de la lande en noir & blanc de Dartmoor telle qu'elle est photographiée en 1939 mais elle n'a pourtant rien de particulièrement original, surtout rapportée à celle déjà vue dans la version Oswald de 1929 qui était nettement plus inquiétante en raison des aspects expressionnistes de son image aux ténèbres bien plus prégnants et heurtés. La photo 1939 du Landfield, concernant les scènes d'intérieurs, est, en outre, souvent platement inondée de lumière et assez peu de plans d'intérieurs en sont esthétiquement travaillés en clairs-obscurs par rapport aux versions 1929 et 1959, toutes deux plus soignées de ce point de vue.

 

 

Lionel Atwill (qui incarnera trois ans plus tard le maléfique professeur Moriarty dans Sherlock Holmes et l'arme secrète en 1942) et John Carradine jouent les utilités : ils sont sous-employés par Landfield. Toutes les sections-clés du roman sont aussi brillamment adaptées chez Fisher qu'elles sont laborieuses et décevantes, surchargées de dialogues sans intérêt, chez Oswald et chez Landfield. La rencontre initiale de Sir Henry Baskerville avec Holmes et Watson est banalement traitée chez Oswald et Landfield, alors qu'elle est l'occasion d'une scène-choc impressionnante (la tarentule sur l'épaule de Christopher Lee) chez Fisher en 1959. La recherche du forçat dans la mine abandonnée est non moins banale chez Oswald et Landfield qui n'en exploitent que l'insolite décor alors que Fisher et Peter Bryan ont en 1959 l'idée d'en augmenter le suspense par la suggestion de meurtres rituels (pas détaillés ni clairement rattachés au fil de l'intrigue : seule faiblesse scénaristique de cette version 1959) et par une tentative directe d'assassinat de Holmes.

 

Cette version 1939 a cependant un grand mérite : révéler Basil Rathbone (qui venait de jouer en vedette dans la production Universal Le Fils de Frankenstein) et Nigel Bruce dans leurs rôles respectifs de détective et de médecin. La perfection de ce casting principal s'avéra déterminante du succès critique et public de la série dont Le Chien des Baskerville (1939) constitue ainsi rétrospectivement le premier opus involontaire. Cela dit, même concernant cet aspect, la version Fisher 1959 innove : alors que Peter Cushing reprend à son compte les composantes dramaturgiques du personnage tel que Basil Rathbone l'avait créé vingt ans plus tôt, le personnage de Watson est assez modifié par André Morell. Il campe un Watson moins enfantin, moins comique, plus sobre et finalement plus adulte que celui de Bruce. C'est probablement en songeant à sa prestation dans ce Fisher de 1959 que Morell jouera le médecin enquêteur dans cet autre grand Hammer Film que sera L'Invasion des morts vivants (The Plague of the Zombies, GB 1966) de John Gilling, également écrit par Peter Bryan.

 

 

 

 

Les Aventures de Sherlock Holmes (The Adventures of Sherlock Holmes)

Origine : USA

Année : 1939

Réalisation : Alfred Werker

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Ida Lupino, Alan Marshal, Terry Kilburn, George Zucco...

 

 

 

 

Sherlock Holmes et la voix de la terreur (Sherlock Holmes and the Voice of Terror)

Origine : USA

Année : 1942

Réalisation : John Rawlins

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Evelyn Ankers, Reginald Denny, Thomas Gomez, Henry Daniell...

 

C'est le troisième film de la série et le premier produit par Universal. Il se situe avant Sherlock Holmes et l'arme secrète (USA 1943) de Roy William Neill qui signera tous les autres titres de 1943 à 1946.

La mise en scène de Rawlins est, certes, inférieure à celle de Roy William Neill mais elle est cependant honorable, influencée par le film noir policier autant que par le cinéma fantastique. Le rapport trouble qui s'instaure entre la chasseuse Evelyn Ankers et sa proie nazie, est, par exemple, assez bien mis en scène.

 

 

L'histoire, librement adaptée de la nouvelle His Last Bow (Son Dernier coup d'archet) publiée en 1917 par Sir Arthur Conan Doyle, est déplacé de 1914 en 1942 puisque Neill filme un complot nazi visant rien moins qu'à s'emparer de l'Angleterre. Un panneau pré-générique nous invite à ne pas nous étonner de la liberté temporelle prise par les scénaristes. Après le générique de fin, on nous invite en outre à participer financièrement à l'effort de guerre (« Ce n'est pas un don, c'est un placement », précise souvent, avec un sens consommé des principes de base de l'économie politique, ce genre d'annonces durant cette période).

Le casting offre, heureusement, une belle compensation au peu d'originalité du scénario (une « cinquième colonne » d'espions en temps de guerre étant un thème très classique : voir la période anglaise d'Alfred Hitchcock, par exemple), à savoir Evelyn Ankers qui venait de jouer en vedette dans deux classiques Universal du cinéma fantastique : Le Loup-garou (USA 1941) de George Waggner et Le Spectre de Frankenstein (USA 1942) d'Erle C. Kenton. Henry Daniell joue un personnage secondaire mais un moment suspecté : il incarnera, trois ans plus tard, le professeur Moriarty, l'implacable génie du crime et le constant ennemi de Holmes, dans l'excellent épisode La Femme en vert (1945) de Roy William Neill, reprenant ainsi un rôle tenu, dans d'autres épisodes de la série, par George Zucco et Lionel Atwill.

 

 

Une curiosité, enfin, prouvant le sens de l'économie (non pas politique mais cinématographique) qui prévalait alors chez Universal pendant la Seconde guerre mondiale : le plan d'ensemble (sa durée est d'environ une seconde) de l'église en ruines est repris à l'identique, deux ans plus tard, pour figurer le château écossais abritant la Société des Bons Camarades dans l'excellent La Maison de la peur (USA 1944) de R.W. Neill. Il y aurait un livre (ou une thèse d'esthétique et d'histoire du cinéma mondial) à écrire sur les plans ainsi réutilisés dans diverses continuités appartenant cependant au même univers filmique : qu'on songe à Edward D. Wood Jr. ou à Roger Corman !

 

Techniquement, la copie argentique du DVD Pal zone 2 édité en son temps par France Télévision Distribution est en assez bon état, en dépit de quelques brûlures de cigarettes et de quelques poussières négatives et positives sur la pellicule. Bonne définition vidéo, bonne gestion des noirs mais générique assez chargé de poussières positives et négatives, comme souvent avec les films anciens où les débuts de bobines sont les endroits qui souffrent le plus.

 

 

 

 

Sherlock Holmes et l'arme secrète (Sherlock Holmes and the Secret Weapon)

Origine : USA

Année : 1943

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Lionel Atwill, Kaaren Verne, William Post Jr., Dennis Hoey...

 

 

 

 

Sherlock Holmes à Washington (Sherlock Holmes in Washington)

Origine : USA

Année : 1943

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Marjorie Lord, Henry Daniell, George Zucco, John Archer, Gavin Muir...

 

 

 

 

Échec à la mort (Sherlock Holmes Faces Death)

Origine : USA

Année : 1943

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Dennis Hoey, Arthur Margetson, Hillary Brooke, Halliwell Hobbes, Minna Phillips...

 

 

 

 

La Femme aux araignées (The Spider Woman)

Origine : USA

Année : 1944

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Gale Sondergaard, Dennis Hoey, Vernon Downing, Alec Craig...

 

 

 

 

La Griffe sanglante (The Scarlet Claw)

Origine : USA

Année : 1944

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Gerald Hamer, Paul Cavanagh, Arthur Hohl, Miles Mander...

 

 

 

 

La Perle des Borgia (The Pearl of Death)

Origine : USA

Année : 1944

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Dennis Hoey, Evelyn Ankers, Miles Mander, Ian Wolfe...

 

 

 

 

La Maison de la peur (House of Fear)

Origine : USA

Année : 1944

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Aubrey Mather, Dennis Hoey, Paul Cavanagh, Holmes Herbert...

 

Exploité au cinéma et à la télévision sous le titre original de House of Fear, c'est le dixième épisode de la série interprété par Basil Rathbone. Adapté de la nouvelle d'Arthur Conan Doyle, Les 5 pépins d'orange, publiée en 1891-1892 dans sa première série des aventures de Sherlock Holmes.

 

La Maison de la peur appartient à l'âge d'or de cette série. On y retrouve au générique des signatures connues par l'historien du cinéma fantastique. L'un de ses deux chefs-décorateurs est Russel A. Gausman qui contribua au cycle Universal des Frankenstein, notamment à ses derniers titres les plus baroques, ceux signés par le cinéaste Erle C. Kenton. L'un des deux directeurs artistiques crédités n'est autre que Eugène Lourié, le cinéaste français émigré à Hollywood qui fut non seulement l'ancien collaborateur de Jean Renoir et de Marcel l'Herbier mais encore celui de Samuel Fuller et d'Albert Zugsmith dans les années 1960-1965, et qui est surtout le futur réalisateur de films fantastiques dont le magnifique Gorgo (USA 1961) produit par les frères King, également producteurs du célèbre film noir policier Le Démon des armes (Gun Crazy, USA 1949) de Joseph H. Lewis.

 

 

La nouvelle originale de Conan Doyle étant ce qu'elle est, l'adaptation la tire ici dans le sens le plus malsain possible : l'intrigue machiavélique fait constamment appel au nécrosadisme. Son introduction demeure une des plus savoureuses de la série : Neill brosse en quelques plans une communauté marginale et recluse sur laquelle s'abat une mort qui prévient à chaque fois de sa venue. La balance entre humour, ironie noire et terreur y est maintenue tout du long. On n'oublie pas l'exhumation nocturne et clandestine d'un supposé cadavre, ni le pseudo-dialogue de Nigel Bruce et d'une chouette, ni le personnage ambivalent de la gouvernante qui appartient à une longue tradition du cinéma fantastique allant du Rebecca (USA 1940) d'Alfred Hitchcock à L'Effroyable secret du professeur Hichcock (Italie 1962) de Riccardo Freda.

 

 

Précisons que le copyright inscrit au générique d'ouverture de La Maison de la peur est bien 1944, en dépit de ce qu'écrivent parfois certaines sources : c'est lui qui doit faire foi lorsqu'une datation est controversée, car il constitue une évidence matérielle. Rares sont d'ailleurs les titres où son indication est prise en défaut, sans parler ici de la distinction entre date de production et date de première distribution, pouvant engendrer de classiques écarts d'une année légale, selon qu'on privilégie l'une ou l'autre.

 

 

 

 

La Femme en vert (The Woman in Green)

Origine : USA

Année : 1945

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Hillary Brooke, Henry Daniell, Paul Cavanagh, Matthew Boulton, Eve Amber...

 

Exploité au cinéma et à la télévision sous le titre original de The Woman in Green, c'est le onzième épisode de la série Sherlock Holmes interprété par Basil Rathbone. Filmographiquement situé entre La Maison de la peur (USA 1944) de R.W. Neill et Mission à Alger (Pursuit to Algiers, USA 1945) de R.W. Neill.

 

Le scénario de Bertram Millhauser est certes original mais il emprunte certains dialogues (séquence de la rencontre de Moriarty et Holmes au domicile de ce dernier) à la nouvelle de Conan Doyle, The Final Problem (Le Dernier problème, 1893) et il emprunte l'idée du tireur caché dans une maison vide (tentant d'abattre Holmes) à une autre nouvelle de Conan Doyle, The Adventure of the Empty House (La Maison vide, 1903). Certains éléments de cette seconde nouvelle furent utilisés dans d'autres titres de cette série hollywodienne 1939-1946. Elles appartiennent respectivement aux recueils Les Mémoires de Sherlock Holmes / Souvenirs de Sherlock Holmes (1894) et Le Retour de Sherlock Holmes (1905).

 

 

La Femme en vert est une savoureuse variation sur le thème de Jack l'éventreur, auquel le Dr. Watson fait explicitement allusion durant l'une des premières séquences : allusion soigneusement réfutée par Holmes qui ne croit pas au caractère pathologique des meurtres. Le scénariste l'allie, assez rapidement et assez intelligemment, au personnage du professeur Moriarty, le génie du crime si souvent combattu par Holmes. On a jugé que l'intrigue était tirée par les cheveux et à peine croyable mais cette critique oublie le fait que les meilleurs épisodes de cette série sont pratiquement conçus comme des cauchemars où la vraisemblance s'efface souvent au profit du symbolisme surréaliste et du fantastique. Le thème de Jack l'éventreur avait été récemment illustré par le dorénavant classique et très intéressant Jack l'éventreur (The Lodger, USA 1943) de John Brahm avec Laird Cregar, adapté d'après une pièce de théâtre autrefois déjà adaptée par Alfred Hitchcock lui-même dans son meilleur film muet (1926) de sa période anglaise. Il était donc bien présent à l'esprit du spectateur américain contemporain. La jeune victime filmée à la morgue est jouée par Kay Harding qui avait déjà joué le rôle d'un cadavre dans une précédente aventure de Holmes, à savoir La Griffe sanglante (The Scarlet Claw, USA 1944) de Roy William Neill. Le script original de La Femme en vert prévoyait que les victimes étaient des très jeunes filles : la censure l'interdit et exigea qu'on en fît des jeunes femmes mais il subsiste peut-être une trace de cette idée initiale dans la brève séquence où le médecin marron (employé par Moriarty pour mutiler les cadavres) manipule curieusement, avec une malsaine fascination, une enfantine poupée.

 

 

La belle actrice Hillary Brooke, qui avait joué une inquiétante médium pro-nazie dans Espions sur la Tamise (Ministry of Fear, USA 1943) de Fritz Lang, adapté du roman d'espionnage homonyme de Graham Greene, interprète ici une érotique femme fatale qui hypnotise littéralement ses victimes afin de les livrer au chantage démoniaque de Moriarty. Elle propose à Holmes, afin de mieux l'hypnotiser, de déguster une tablette de Cannabis Japonica dont le nom scientifique latin renvoie à une variété fictive et totalement inventée. La séquence durant laquelle Watson est hypnotisé à son insu fut aussi modifiée par la censure : on interdit qu'il retirât totalement son pantalon, comme prévu par le script et on dut se contenter de lui faire remonter le bas d'une des jambes de son pantalon ! Le professeur Moriarty est très brillamment joué par Henry Daniell : il est le troisième interprète du démoniaque criminel dans l'histoire de cette série, après George Zucco dans Les Aventures de Sherlock Holmes (USA 1939) d'Alfred Werker et Lionel Atwill dans Sherlock Holmes et l'arme secrète (USA 1943) de Roy William Neill. On se demande parfois pourquoi le même acteur ne fut pas repris systématiquement pour le rôle. On ne peut pas incriminer le changement de société de production puisque la Universal aurait très bien pu proposer à Zucco de reprendre en 1943 et en 1945 le rôle qu'il avait tenu pour la Fox en 1939. Simple contingence relative aux contrats et emplois du temps de ces grands comédiens respectifs de l'histoire du cinéma fantastique ou bien volonté délibérée de Roy William Neill (qui produit et réalise pour la Universal les Sherlock Holmes datés 1943 à 1946) de renouveler systématiquement l'incarnation du personnage ?

 

Les effets spéciaux signés John P. Fulton (responsable de ceux de nombreux classiques Universal du cinéma fantastique entre 1931 et 1945) sont sobres mais très efficaces : superpositions d'images durant l'hypnose, effets de vertige. Ils sont brefs mais, encore aujourd'hui, impressionnants. La mise en scène de Neill (1887-1946) doit, d'une manière générale, beaucoup à la syntaxe du cinéma muet dont il fut un artisan prolifique (le premier des 110 titres qu'il signa date de 1917). Il a notamment recours au décadrage, soigne ses angles et ses éclairages en clair-obscurs, confère un rythme assez nerveux au montage de l'histoire, brève en durée mais riche en rebondissements. La Femme en vert demeure un des meilleurs épisodes de la série Sherlock Holmes 1939-1946.

 

 

 

 

Mission à Alger (Pursuit to Algiers)

Origine : USA

Année : 1945

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Marjorie Riordan, Rosalind Ivan, Morton Lowry, Leslie Vincent...

 

Mission à Alger est le douzième épisode de la série Sherlock Holmes interprété par Basil Rathbone. Il n'est, hélas, pas adapté de Conan Doyle : c'est peut-être pour cette raison qu'il en est l'un des plus faibles épisodes.

 

 

Pourtant son argument n'était pas, a priori, inintéressant. Mission à Alger n'est pas une enquête policière mais une mission mi-diplomatique, mi-policière destinée à prévenir les tentatives d'assassinat (par les Nazis et leurs complices) du jeune souverain d'un pays imaginaire d'Europe que Holmes doit pratiquement protéger, tel un garde du corps. L'action se déroule entièrement non pas à Alger mais, nuance de taille, sur un navire (un peu comme, l'année suivante, Le Train de la mort se déroulera, comme son titre français d'exploitation l'indique à la différence de son titre original anglais, dans un train) allant à Alger dont on ne voit, en raison du minuscule budget alloué, que de vagues arrière-plans flous ! Les seuls véritables beaux plans sont - c'est une constante du cinéma anglo-saxon - ceux de la mer, qu'elle soit vue du pont ou des cabines. Et le seul intérêt thématique du scénario demeure, au fond, l'idée d'un changement perpétuel d'identités, idée assez bien exploitée par le scénario comme par la mise en scène. C'est elle qui rattache, quelque part, Mission à Alger au thème fondamental du cinéma fantastique : celui du double. Cet aspect thématique ne suffit pourtant pas à compenser la relative faiblesse plastique du film, un des plus pauvres de la série Basil Rathbone sur le plan des décors et de l'éclairage. Mentionnons cependant, afin de ne pas rester sur une note trop négative pour ce film sinon remarquable du moins honnête et pour faire bonne mesure, une mise en abîme finale utilisant d'une manière intéressante le paradoxe du comédien selon notre Diderot national : clin d'œil érudit du scénariste qui connaît ses classiques, ici bien intégré à la continuité narrative.

 

 

Le disque-test reçu de France Télévision Distribution comportait plusieurs défauts techniques sérieux sur la section VOSTF : deux ou trois arrêts sur image entraînent même une fugitive suppression du son, puis une reprise après quelques secondes d'attente mais... sur une image fixe ! Copie argentique comportant, en outre, quelques rayures et parfois assez chargée de poussières négatives et positives : ce n'est pas fondamentalement pour nous déplaire (le cinéma argentique induisait à terme ce genre de défauts et c'était devenu sa marque de fabrique lorsqu'on visionnait des reprises, marques familières, nostalgiques d'un temps à jamais révolu) mais enfin on suppose que France Télévision Distribution avait les moyens techniques de les nettoyer si elle avait voulu s'en donner la peine. De l'art d'investir à moitié en se donnant des airs de restaurateurs qu'on n'est, en réalité, pas vraiment.

 

 

 

 

Le Train de la mort (Terror by Night)

Origine : USA

Année : 1946

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Alan Mowbray, Dennis Hoey, Renee Godfrey, Frederick Worlock...

 

Exploité au cinéma et à la télévision sous le titre original de Terror By Night, Le Train de la mort est le treizième et avant-dernier épisode de la série Sherlock Holmes interprété par Basil Rathbone. C'est un film noir policier comportant une ou deux touches d'épouvante, au suspense particulièrement vigoureux.

 

Le scénario de Frank Gruber n'est pas tout à fait original puisqu'il reprend l'idée du bijou maudit, portant malheur à ses possesseurs et qu'un gang criminel tente de subtiliser, idée déjà exploitée dans La Perle des Borgia (The Pearl of Death, USA 1944) de Roy William Neill. Il reprend, en outre, l'idée d'unité de lieu puisque presque toute l'action se déroule dans un train, de la même manière que Mission à Alger se déroulait, l'année précédente, presque entièrement sur un navire.

 

 

On a parfois écrit que L'Énigme du Chicago Express (The Narrow Margin, USA 1952) de Richard Fleischer était son premier grand film noir policier en raison du défi technique relevé par Fleischer de filmer la majorité de l'action dans un train. Une Femme disparaît (GB 1938) d'Alfred Hitchcock et Le Train de la mort de Neill avaient déjà respectivement relevé haut la main ce même défi. La séquence de la gare du Train de la mort, vers le début du film, comporte quelques stock-shots du Rome Express (GB 1932) de Walter Forde avec Conrad Veidt dont l'action se déroulait elle aussi, en grande partie, dans un train : l'idée n'était décidément pas neuve mais un bon cinéaste peut toujours la renouveler : c'est le cas de Neill.

 

Unité de lieu, unité de temps (le voyage ferroviaire entre Londres et Édimbourg dure toute une nuit) et presque unité d'action mais cette dernière est trop variée et rebondissante pour qu'on puisse la subsumer de cette manière. Les inserts d'images d'un train roulant la nuit à travers des paysages sauvages et rudes, sont attendus mais ils renforcent progressivement d'une manière finalement assez obsédante, le niveau déjà inquiétant d'une odyssée au cours de laquelle les identités sont modifiées, un cercueil révélé comme étant à double-fond, un tueur défiguré menacé d'être lui-même tué par un employeur plus redoutable encore car ancien complice de Moriarty, le génie du crime et l'ennemi juré de Holmes ! Sans oublier une dynamique scène de combat à l'extérieur du wagon, aux transparences parfaitement exécutées et au montage remarquablement précis.

 

Parmi le casting, outre les deux acteurs principaux masculins habituels comme d'habitude excellents (Basil Rathbone se bat physiquement rien moins que deux fois et Nigel Bruce est très en forme, apportant davantage que la touche comique à laquelle on réduit souvent sa prestation), il faut mentionner deux acteurs de second rôles intéressants : la mignonne Renee Godfrey (1919-1964) pour son érotisme primesautier, qui demeure plus connue en Amérique que chez nous mais gagne décidément à l'être et Skelton Knaggs (1911-1955) en tueur défiguré apportant à chaque fois qu'il apparaît une authentique touche d'épouvante à l'intrigue.

 

 

Skelton Knaggs avait joué Shakespeare en Angleterre avant d'émigrer pour Hollywood : il aurait, à mon avis, mérité une notice à part entière dans la section « musée imaginaire » du beau livre de Jean-Marie Sabatier, Les Classiques du cinéma fantastique (éditions Balland, Paris 1973). Après La Griffe sanglante (The Scarlet Claw, USA 1944) de Roy William Neill et La Maison de Dracula (USA 1945) de Erle C. Kenton, ce titre de Neill lui fournit en 1946 l'occasion d'une savoureuse composition. On peut aujourd'hui considérer Knaggs comme étant une sorte de solution de continuité, d'intermédiaire dramaturgique et physique entre Dwight Frye (1899-1943) et Klaus Kinski (1926-1991) qui avaient, pour leur part, reçu de Sabatier l'hommage mérité d'une notice dans son ouvrage de référence (*) . Si Knaggs avait vécu plus longtemps et s'il était revenu en Angleterre (avec autant de « si » on pourrait certes mettre Londres dans une bouteille mais on a le droit de rêver, comme l'écrivait Gaston Bachelard) on peut imaginer les rôles qu'il aurait tenus pour la Hammer Film qui n'aurait probablement pas manqué de faire appel à lui durant son âge d'or fantastique de 1955-1975. Imaginer les rôles qu'un acteur aurait pu tenir m'a toujours semblé être une des meilleures manières de lui rendre hommage, outre la vision de ceux qu'il a effectivement tenus.

 

Le Train de la mort appartient, comme certains titres de cette série, au domaine public américain. On en trouve depuis longtemps des vidéos magnétiques et numériques en états variés, allant du pire au meilleur (sans même parler des versions colorisées). La meilleure image est actuellement celle disponible en Full HD dans le coffret Blu-ray américain édité en 2011 par MPI Home Vidéo. C'est d'ailleurs déjà MPI qui avait soigneusement édité cette série en coffret DVD, après que sa restauration eut été achevée en 2003 (après douze ans de travail : presque un an de travail par film, en comptant un peu large...) par le service des archives cinématographiques de l'Université Californienne de Los Angeles (UCLA). Ce dernier eut parfois recours, faute de copie positive argentique 35mm en état suffisamment correct pour certains titres, à des copies 16mm. Ce qui explique que les cadrages du format original 1.37 N&B soient parfois légèrement différents, notamment durant les génériques d'ouverture, selon les titres et même selon les séquences de la continuité d'un même titre. Il subsiste, en outre, quelques petites griffures ou brûlures éparses sur certains plans mais l'ensemble est toujours globalement bien nettoyé. Concernant les copies françaises, je recommande chaudement la VF d'époque, ici savoureuse : Renee Godfrey avoue aux enquêteurs sa complicité criminelle avec un accent de Paris mi-sexy mi-vulgaire tandis que Holmes s'exprime souvent comme un sociétaire de la Comédie Française, amateur de périodes oratoires brèves mais soigneusement balancées. Bref, vous l'aurez compris, Le Train de la mort demeure un des meilleurs épisodes de la série.

 

(*) Ouvrage certes inégal, parfois intellectuellement discutable ou franchement excessif voire injuste, comportant (inévitablement car en 1973, on ne disposait pas des outils actuels en matière de recherche d'histoire du cinéma : raison de plus pour admirer l'ampleur du travail alors effectué) des coquilles et des erreurs d'histoire du cinéma mais qui demeure néanmoins le livre le plus profond, le plus riche, le plus suggestif jamais écrit en France sur l'histoire et l'esthétique du cinéma fantastique mondial de la période muette à 1973. Il faudrait absolument, d'un pur point de vue historiographique, le rééditer en version revue, complétée, soigneusement corrigée, éventuellement augmentée d'une annexe couvrant la période 1973 à nos jours.

 


 

 

La Clé (Dressed to Kill)

Origine : USA

Année : 1946

Réalisation : Roy William Neill

Distribution : Basil Rathbone, Nigel Bruce, Patricia Morison, Edmund Breon, Frederick Worlock, Carl Harbord, Patricia Cameron…

 

Exploité au cinéma et à la télévision sous le titre original de Dressed to Kill - redoutable titre homonyme qu'il ne faut évidemment pas confondre avec Pulsions (Dressed to Kill, USA 1980) de Brian de Palma - La Clé est le quatorzième et dernier épisode de la série Sherlock Holmes interprété par Basil Rathbone. C'est un pur film noir policier au suspense serré mais sans aucune touche de fantastique ni de terreur (mise à part celle du slogan de l'affiche) bien que Holmes manque d'y être gazé d'une manière machiavélique et qu'on y assassine froidement un vieillard au couteau. Ce titre de la série est un de ceux tombés dans le domaine public. C'est une copie 16mm qui, faute de copies 35mm en état suffisamment bon, fut utilisée pour la restauration de La Clé par les archives cinématographiques de l'UCLA de Los Angeles.

 

 

Une de ses affiches originales américaines comporte un slogan assez attrayant mais inexact : "Queen of a criminal cult!" pour désigner le personnage joué par la sexy Patricia Morison (1915-2018) dont les courbes plantureuses sont fatales à un vieux collectionneur de boîtes à musique et séduisent son ami le docteur Watson. Il est vrai qu'elle anime, de facto, un gang mais qui ne voue un culte à aucune divinité particulière, si ce n'est à l'argent. Peut-être faut-il voir, dans un tel slogan, l'influence commerciale encore active du médiocre Le Signe du cobra (Cobra Woman, USA 1943) de Robert Siodmak dans lequel Maria Montez - seul réel intérêt d'un des très rares mauvais films de ce grand cinéaste - se retrouvait grande prêtresse d'une secte d'adorateurs du cobra ? Toujours est-il qu'on regrette décidément que le classique fantastique dans lequel Patricia Morison jouait en vedette, à savoir Calling Dr. Death (USA 1943) de Reginald Le Borg, n'ait jamais été distribué en France car cette période 1940-1945 (ajoutons 1946 pour faire bonne mesure, à cause de La Clé) semble bien avoir été celle durant laquelle elle était au sommet de sa beauté.

 

 

Le scénario cite dans le dialogue Irène Adler, l'héroïne criminelle d'une nouvelle de Conan Doyle, A Scandal in Bohemia (Un Scandale en Bohème, 1891) et le procédé de « l'enfumage » utilisé par Patricia Morison à l'encontre de Watson provient en droite ligne de cette histoire. Il cite aussi The Solitary Cyclist (Le Cycliste solitaire, 1903) mais c'est surtout avec une troisième aventure de Sherlock Holmes écrite par Conan Doyle, The Six Napoleons (Les Six Napoléons, 1904) que l'intrigue comporte une réelle similitude puisqu'il s'agit de retrouver un objet caché et dissimulé parmi d'autres identiques mais à cette différence près qu'il s'agit d'un code criminel réparti entre ces objets : les fragments d'une mélodie codée qu'il faut réunir ! Nul doute que cette dernière aventure de Sherlock Holmes aurait beaucoup intéressé les sémanticiens et les sémiologues, qu'ils fussent ou non structuralistes ! Notons, pour terminer, une brillante utilisation, dans la séquence finale au suspense millimétré, de la maison-musée du Dr. Samuel Johnson (1709-1784), l'un des plus célèbres exégètes anglais de Shakespeare.

 

Francis Moury

 

# En rapport avec les films : Quatre Sherlock chez Wild Side.