J'étais Dora Suarez
Titre original: I was Dora Suarez
Genre: Thriller-Polar
Année: 1990
Pays d'origine: Angleterre
Editeur: Editions Rivages
Collection: Rivages / Noir
Auteur: Robin Cook
 

"J'étais Dora Suarez" est le quatrième roman de la série Factory, initiée en 1984 avec "On ne meurt que deux fois", et déjà avec talent, par notre Robin Cook ici présent. Un livre qui sera lui-même adapté dans la foulée au cinéma par Jacques Deray, avec disons le, assez peu de bonheur. Celui-ci sera suivi l'année suivante de "Les mois d'avril sont meurtriers", lui aussi directement adapté au cinéma, cette fois-ci, avec un peu plus d'entrain communicatif par le pourtant limité Laurent Heynemann mais aidé au scénario par un Bertrand Tavernier, fan du romancier, ceci expliquant peut-être cela. Suivra ensuite "Comment vivent les morts", lequel n'a pas encore été adapté à ce jour, puis enfin, celui qui nous concerne ici.

Quant à Robin Cook, il ne faudra pas le confondre avec son homonyme américain, auteur prolifique quant à lui, de thrillers médicaux. Le Robin Cook qui nous concerne est anglais et fut contraint à éditer ses romans dans son propre pays sous un pseudonyme (Derek Raymond) pour ne pas être confondu avec l'auteur américain susnommé. Quant à sa vie, on peut affirmer facilement, qu'elle fut celle d'un bourlingueur, s'exerçant à divers métiers, ce, dans une vie émaillée de riches rencontres. Pour l'anecdote, il vécu une partie des années 50 à Paris où il côtoya des gens aussi originaux qu'Allen Ginsberg ou William Burroughs, puis à New-York d'où il dut se sauver après avoir monté un trafic de tableau en direction d'Amsterdam, pour être ensuite emprisonné en Espagne pour des propos tenus dans un bar, jugés diffamatoire à l'encontre du général Franco... bref, ce qu'on appelle une vie bien remplie, une vie qui s'apaisera quelque peu à l'amorce des années 80, date à laquelle Cook décide de se poser enfin.

Paré alors d'un succès d'estime plus que public (celui-ci a déjà écrit 4 livres remarqués durant les années 60 et 70), il se lance dans la série qui nous préoccupe ; série mettant invariablement en scène initialement des meurtres d'une sauvagerie inouïe, sur lequel viendra enquêter un flic faisant partie du service A14 au sein de son commissariat (l'Usine), un service destiné aux morts jugées comme d'importance secondaire.

Inutile de vous dire que ce n'est pas l'avis de notre flic (anonyme), lequel aime travailler à l'ancienne, à savoir avec des méthodes musclées, voire expéditives...


En parlant de méthodes expéditives, notre flic de "J'étais Dora Suarez" se voit tout juste réintégré dans la police pour mener à bien une enquête des plus glauques et tordues, après avoir été banni de la police durant deux ans pour violence. Autant dire que son caractère restera, tout du long de cette nouvelle enquête dans les tréfonds de la pourriture humaine, immuable, et notre homme, tel un sanglier blessé, foncera toujours droit devant.

De quoi retourne-t-il dans ce polar violent, noir, et dépressif ? D'une véritable plongée en Enfer, d'un deuil par procuration, d'un flic et d'une victime dont une proximité se créé jusqu'à meurtrir l'enquêteur, d'un journal intime que notre policier n'aurait peut-être jamais dû ouvrir, d'une morte et même de plusieurs morts dont les voix résonnent de façon régulière dans son esprit, d'un roman décrit comme "en deuil" par son propre auteur, un roman dans lequel notre sombre héros est lui aussi un être meurtri par un drame passé...

Mais qui est cette Dora Suarez qui hante notre homme ainsi que tout le roman pour finir par le contaminer de l'intérieur ? Dès les premières pages, elle se fait tuer à coups de hache avec une sauvagerie dépassant l'entendement. Le coupable est décrit succinctement comme un homme trapu, de type latin, d'allure assez sportive, mais dont la particularité est de traîner un sexe ensanglanté qu'il châtie lui-même. Non seulement, il massacre Dora, mais également éjacule sur son corps découpé avant de boire son sang. Il n'épargne pas non plus la vieille dame qui héberge Dora, et qui, entendant du bruit, s'aventure dans la mauvaise pièce, au mauvais moment. Notre assassin sévit également une troisième fois, à quelques kilomètres seulement de là, et abat Felix Roatta, l'un des copropriétaire du "Parallel Cub". Après l'autopsie, il s'avère que Dora Suarez était atteinte du Sida. Atteinte par extension du syndrome de Karpozi, celle-ci avait décidé de se suicider en douceur le soir même où elle fut devancée puis démembrée avec fureur.

Quant au club, il s'agit non seulement d'un endroit dans lequel sévit un réseau de prostitution uniquement destiné aux gens atteints du virus du VIH. Une réserve de rats sera même trouvée, les bestioles étant destinées à entrer dans les sexes moisis et les fondements pourris, ceux des putes comme des clients, ce, afin d'assouvir à leur manière, leurs pulsions sexuelles et pouvoir coïter comme tout un chacun !


Certes, "J'étais Dora Suarez", après un préambule d'une rare violence, semble piétiner quelque peu. Mais rester sur les 20 premières pages, c'est se tromper de roman, car là où nous emmène ensuite Robin Cook, ce n'est pas dans un Psycho Killer classique, mais dans un pur polar d'investigation mettant en exergue la souffrance. Celle d'un homme qui cristallise la victime d'un meurtre comme la synthèse de toutes les victimes qu'il a croisées toute sa vie durant, jusqu'à être hanté et entretenir avec elles, des rapports privilégiés au-delà de la mort.

Certes, les flics meurtris ne manquent pas dans le genre polar et l'on pourra bien penser au Dave Robichaux des romans de James lee Burke ou même encore au légiste Marcus Mawbray de "Nécropsie" d'Hubert Corbin, mais aucun d'eux n'a, à l'instar de notre policier de l'Usine de Londres (l'appellation utilisée ici pour désigner le commissariat où exerce notre enquêteur anonyme ), la révélation toute faite d'empathie, d'être un vengeur expiatoire de victimes ayant perdu leur âme en crevant autant injustement que cruellement.

A partir de là, nous assistons à un roman non seulement d'une noirceur infinie mais évoluant à la lisière du fantastique ou de l'onirisme, ces mêmes victimes ayant dans l'oeuvre de Cook, une présence quasi-fantomatique. Le culte des mort a prit place dans l'esprit du flic au point d'occulter, sinon même de mépriser le monde des vivants ; sa mission sera subitement de faire recouvrer aux morts une identité ainsi qu'une noblesse perdue. D'autant plus que le service dans lequel il évolue, a par définition, tendance à les considérer de second ordre.

Sans tomber pour autant dans le simple mysticisme, Robin Cook dresse ici le portrait d'un Londres rempli de proies, d'une société viciée par le haut et que notre ange rédempteur cherche à redresser, évitant comme la peste, les bonnes manières, le zèle, le compromis et le carriérisme. A ville sale, flic sale, à l'instar des rues et des endroits clos que celui-ci est amené à fréquenter. Il n'y a finalement pour lui que cette manière d'agir ; celle de se fondre dans le décors pour mener à bien son enquête, transformée pour le coup en quête spirituelle. Non seulement, il se fond avec la crasse mais également avec la douleur des victimes, tant et si bien, que, même s'il pleure la nuit en pensant à "ses" morts, l'on devine assez vite que tout cela finira mal, et que, sans doute, notre flic est déjà un peu mort lui-même au moment même où l'enquête lui échoie.

Décédé en 1994, Robin Cook laisse finalement une oeuvre teintée de pessimisme chronique, d'amertume et de désespoir dont "J'étais Dora Suarez" est l'un de ses meilleurs représentants. Bref, il s'agit d'un polar autant original qu'incontournable !

 

Note : 8,5/10

 

Mallox

 

A propos de ce livre :

 

- Site de l'éditeur : http://www.payot-rivages.net/

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