Urlatori alla sbarra
Genre: Musicarello , Document , Comédie
Année: 1960
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
Adriano Celentano, Elke Sommer, Chet Baker, Joe Sentieri, Mina Anna Mazzini, Giacomo Furia, Giuliano Mancini, Marilù Tolo...
Aka: Metti, Celentano e Mina / Howlers of the Dock
 

Le Musicarello est un genre à part entière dans les années 60 en italien. Un genre de films dans lesquels on y retrouve quelques chanteurs alors en vogue, venant interpréter leur dernier tube (on peut dire par conséquent que le genre sert également de promotion) en plus de livrer une peinture d'une jeunesse insouciante qui revendique son droit de chanter et danser (s'amuser quoi) sans que les "vieux croulants" viennent pour autant leur faire la morale.
Fulci en avait déjà tourné un l'année précédente (Ragazzi del Juke-Box), avec la somptueuse Elke Sommer que l'on retrouve ici avec plaisir. Le premier essai s'étant avéré fructueux, il signe donc pour tourner son second et dernier musicarella, avant d'enchaîner sur quelques comédies, souvent à base de crimes ou d'espionnage, notamment avec Franco et Ciccio.
Fulci n'a jamais caché sa passion pour la musique et le Jazz tout particulièrement. Il voit là l'occasion de saisir sa chance de la mettre en scène, tout en contribuant à communiquer sa passion en même temps que de militer pour la jeunesse, ou s'en faire l'un des représentants.
Urlatori alla sbarra marque également la seconde collaboration du réalisateur avec Adriano Celentano. Un Celentano qui s'était fait alors remarquer en devenant l'un des pionniers en Italie à intégrer le rock anglo-saxon dans sa musique, influencé, entre autres, par Bill Haley, trouvant petit à petit ses marques en dansant de manière désarticulée ainsi qu'en empruntant à Jerry Lewis ses grimaces. Il n'est pas encore tout à fait le chanteur qui vend communément un million de disques, mais la chose ne tardera plus, à partir de 1962, après la fondation du Clan Celentano. Enfin passons... Si un lien fort l'unit au metteur en scène (*), ce n'est pas la seule personnalité musicale ici présente dans ce "Salut les copains" version filmée par Fulci, avec pas mal de petites vedettes italiennes de l'époque ici présentes. Et si je parle de copains, c'est aussi parce que chacun garde son prénom à l'écran comme à la ville ou sur scène.

 

On a donc l'honneur de voir défiler pas mal d'étoiles montantes de l'époque (pour certaines, moins connues chez nous tout de même). Ainsi Mina (de son vrai nom Mina Anna Mazzini), égérie pop du moment, considérée encore aujourd'hui en Italie comme l'une des plus grandes chanteuses et qui, à ce jour, a enregistré pas moins de mille chansons et gravé une centaine de disques. Pour en finir avec les coqueluches d'alors qui viennent, dans Urlatori alla sbarra, pousser la chansonnette, on citera Joe Sentieri, lequel a souvent repris des standards (six chansons de Brel par exemple), mais a été également beaucoup repris aux Etats-Unis par Ben E. King, Tom Jones, ou même Status Quo. Et puis, n'oublions surtout pas la présence du grand Chet Baker (dans le rôle de Chet l'américain), dans une période européenne très agitée, puisqu'arrêté, emprisonné ou expulsé à plusieurs reprises pour possession d'héroïne. Lucio Fulci semble d'ailleurs jouer avec ironie là-dessus, car il en fait un personnage le plus souvent dans le cirage, passant son temps à dormir un peu partout, que ce soit dans une baignoire ou sous le canapé du salon, dans lequel pourtant tout le monde danse avec frénésie.
Hors du monde musical, on évoquera également les présences de Marilù Tolo dans son tout premier rôle avant de faire la copieuse carrière que l'on sait, ainsi que la brève apparition du réalisateur Mario Landi (Giallo a Venezia, Patrick vive ancora...), ou encore d'Aldo Maccione, à l'époque où il oeuvrait encore au sein du groupe "Les Brutos".

 

Bref, vous l'aurez compris, Urlatori alla sbarra ressemble davantage à une succession de scopitones (terme créé la même année en France) qu'à une histoire réellement élaborée et l'on assiste 80 minutes durant à une sorte de "Dolce Vita" version yé-yé. (A noter que Celentano faisait également une apparition dans le film de Fellini). Au regard du film, on peut affirmer sans crainte que le plus grand mérite de Lucio Fulci est d'avoir su capter et rendre à l'écran l'énergie de la jeunesse d'alors.
Bien sûr, le film se pare tout de même d'un scénario. Celui-ci est basé sur le combat que mène alors le congrès national pour la rééducation de la jeunesse. Une jeunesse corrompue par nos délinquant hurleurs, lesquels ne s'en laisseront pas compter jusqu'à descendre en vespa dans les rues de Rome pour aller manifester en faveur de la libre expression. Non pas pour se battre, mais pour montrer leur pacifisme et se rapprocher de la population, et prouver qu'ils sont normaux...
A ce propos, le réalisateur prend d'entrée parti, en retraçant l'histoire du monde en trois ou quatre petits sketchs, allant du primate aux supporters de foot en passant par la Rome fasciste, pour aboutir sur un hurlement qui n'émanera pas d'un de nos jeunes loulous, mais bel et bien de la bouche du président du congrès. Un congrès tout occupé à faire interdire de diffusion le rock avant que celui-ci ne contamine la jeunesse, transformant toute une génération en délinquants juvéniles. "Qui hurle le plus fort et avec le plus haine ?" se demande Fulci. Inutile, je pense, de donner réponse à cela. Fulci y répond immédiatement, dès les premières scènes, tout comme il fustigera ensuite une industrie du disque conservatrice, laquelle retournera plus tard sa veste devant le potentiel financier de nos jeunes étoiles montantes. En plus d'un conservatisme et des préjugés, c'est également un protectionnisme mal placé autant qu'exagéré que dénonce Fulci et la jeunesse ici mise en scène. Celui de ne pas vouloir admettre que l'Amérique peut avoir de bonnes choses à amener. Ainsi même le Blue Jean sera un temps interdit, représentant pour les hautes instances le symbole d'une jeunesse pervertie. Le Jean, c'est l'escalade vers la drogue ! Il est vrai qu'en contrepartie, cette même jeunesse est sous forte influence... Elle s'habille en Davy Crockett ou arbore le look de Marlon Brando dans "L'équipée sauvage".

 

 

Pour rester un peu avec ces personnages clones, le film recèle quelques séquences rigolotes, quoique naïves. Ainsi, alors que notre Marlon Brando transalpin s'apprête à faire traverser une vieille dame, celle-ci (qui vient de lire dans le journal la menace que représente cette nouvelle jeunesse), se met à le frapper ! Idem pour notre Davy Crockett qui, alors que l'ascenseur de l'immeuble est en panne, entendra (en collant son oreille au sol comme les cowboys) la plainte d'un vieil homme bloqué au rez-de-chaussée, pour ensuite que nos jeunes fripouilles aillent l'aider (à l'exception de Chet Baker, toujours à la ramasse, qui lui monte et descend de chaque côté de l'ascenseur, ne se rendant pas compte que ce dernier est en panne).
Voilà un peu tout ce qu'il y a à dire sur Urlatori alla sbarra. Une suite de saynètes et de clips reliés par une histoire inoffensive, qui n'a pas l'extrême prétention de polémiquer plus que cela (même si...). On pourrait même le trouver assez manichéen dans sa description des rapports entre ces jeunes si sympathiques et ces vieux cons si grincheux et conservateurs. Si Fulci prend parti, il ne polémique pas pour autant, et préfère offrir un portrait bon enfant de toute une génération. Même le cas Chet Baker est traité avec légèreté, sinon même éludé, alors que hors cadre, ses problèmes étaient très sérieux et même d'une grande gravité.

Du fait de ce côté bon enfant, et d'une peinture d'une jeunesse trop innocente, il est même difficile d'anticiper le réalisateur du Temps du massacre ou de Beatrice Cenci. On pourra toutefois le rapprocher de certaines de ses comédies des années 70 comme The Eroticist ou Young Dracula qui, elles aussi, égratignaient les mythes et institutions de manière bon enfant, mais avec du mordant et de la maturité en plus.

 

 

Urlatori alla sbarra est un film sympathique mais qui a beaucoup vieilli, à l'instar de certaines stars qu'on y trouve. Finalement, le propos le plus pertinent et à résonance moderne qu'on puisse y déceler se trouve dans la démarche de ces jeunes voulant montrer pattes blanches, finalement poussés par une industrie du Blue Jean qui voient en eux tout un marché d'une contre-culture à exploiter, tout comme l'industrie du disque leur propose tout d'abord des contrats pour finir par les domestiquer. De là, une fois la réussite établie, la rébellion s'éteint, les chansons et musiques s'aseptisent, et leurs représentants oublient petit à petit leurs revendications initiales, pour devenir à la fois les instruments d'une société qu'ils conspuaient alors, en même temps que de simples yuppies...

 

Mallox

 

(*) Lucio Fulci s’impliqua même dans l’écriture de deux chansons de Adriano Celentano, qu’il co-écrit en 1959 avec Piero Vivarelli ; on les entendait dans Ragazzi del Juke-Box, ce sont deux chansons parmi les plus grand Hits de la première période du chanteur :

 

- "24,000 Baci"

- "Il tuo bacio e come un rock"

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