Temps du Massacre, Le
Titre original: Tempo di massacro
Genre: Western spaghetti
Année: 1966
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
Franco Nero, George Hilton, Nino Castelnuovo, Linda Sini, Giuseppe Addobbati, Tom Felleghy, Rina Franchetti...
 

Voici dès 1966 un Lucio Fulci maître de son sujet, et ce à quoi on a le droit ici, c'est tout simplement l'un des tous meilleurs Westerns Spaghetti qui soit ; on pourrait du reste, presque le ranger entre Le Grand Silence et Django, deux des meilleurs Corbucci (même si Django est loin d'être son meilleur western mais reste non moins fondateur), tant il semble appartenir à une même famille dans sa manière de disséquer la violence, ainsi que sa façon d'exploser les conventions pour amener les stéréotypes inhérents au genre, à leur extrême paroxysme.
Le Temps du Massacre est une réussite totale, l'apogée d'un cinéma de quartier porté à son plus haut niveau. Des acteurs charismatiques, une histoire de vengeance bien dosée pour le coup, un méchant qui mérite une place au panthéon, une mise en scène d'une inventivité de chaque instant, un sadisme féroce, une belle violence graphique, et dans l'approfondissement de ses caractères, des personnages tordus déchirés par les pères, qui l'emmènent aux abords de la Tragédie grecque, un rythme sans faille et pour finir des "gunfights" à couper le souffle ainsi que d'autres scènes de fouet. Tout ceci contribuant à faire de ce Temps du Massacre une première pierre angulaire dans l'oeuvre de Fulci, doublé d'un western d'anthologie et d'un spectacle dru comme un bouquet final de feu d'artifice...

 

 

Tom Corbett (Franco Nero) cherche tranquillement de l'or, et alors qu'il tombe sur une belle petite pépite, le voici qu'il est guetté, puis abordé par l'un des habitants de son village natal, lequel est porteur d'un message, l'implorant de revenir; n'ayant que peu d'explications, et son interlocuteur se sauvant alors, Tom décide alors de renter au bercail, pour s'apercevoir alors que le domaine familial appartient dorénavant à un riche propriétaire dont la prospection territoriale ne semble avoir aucune limite, d'autant que celui-ci a un fils très sadique (Johnny / Nino Castelnuovo) et qui échappe complètement à son autorité, semant la terreur à tout va.
Dans un même temps, et pour parfaire l'ampleur du désastre, il retrouve son frère (Raphael / George Hilton), totalement à l'abandon, plongé dans un alcoolisme tenace et profond, à la hauteur de son désabusement absolu pour les évènements alentours, impuissant à conjurer l'essor du tyran et de son fils, et proche parfois d'un nihilisme qui pourrai l'amener à se faire abattre par Johnny ou les hommes de sa bande, qui ont pour le moins, l'emprise sur le village et ses habitants... Il était grand temps que Tom revienne afin de remettre un peu d'ordre dans tout ceci, et il est clair que c'est au prix d'issues fatales que cela pourra se faire...

 

 

Si cela me semble de prime abord difficile, je vais tenter d'éviter les superlatifs, mais quitte à citer ce que j'ai déjà dit en préambule, le spectacle est formidable. La première scène du film, celle qui précède le générique donne de suite le ton ; un homme est enfermé dans une cage avant d'être libéré pour être fouetté violemment au visage, puis chassé par une meute de chiens assassins, qui ne manqueront bien sûr pas de le rattraper et de le déchiqueter tout cru ; il s'agit là d'une chasse à l'homme pour le fun où Johnny Scott, le fils du riche bourgeois, prend son pied à la mort annoncée d'un pauvre bougre qui ne semblait pas en demander tant.
Cela est livré sans détour et toujours au plus proche de l'essentiel, à savoir avec une issue fatale qui guette. Nous ne sommes qu'en 1966 et Lucio Fulci, d'entrée de film, on le sent, a trouvé dans la relecture du Western amorcée par Leone deux ans plus tôt, et son "Pour une Poignée de Dollars", matière a poser ses thèmes de prédilection et autres jalons qu'il déclinera ensuite, tout au long de sa carrière, jusqu'à les zoomer au microscope, afin de les disséquer au plus précis, extirpant pour se faire, le récit (L'Au-delà).
Fulci semble déjà disposer d'un tempérament fonceur, puisque c'est peu dire qu'il ne se prive en nous amenant dès son premier film "sérieux" (ou dramatique), et dès sa première scène, dans son univers foncièrement pessimiste sur la nature humaine, dans lequel l'homme est un loup pour l'homme (ici par extension canine) et où le plus souvent la mort, non seulement rôde, frôlant tout le monde par où elle passe, tout en restant l'issue quasi-fatale.
La façon tout en travellings rapides dont est filmée la chasse, avec ses contres plans sur son instigateur tout de blanc vêtu, empreint d'un rictus amusé, est celle d'un grand cinéaste ; elle possède à la fois, sens du rythme et virtuosité technique, tout en présentant dans un même temps, un personnage, ainsi que tout un univers qui ne se démentira jamais durant le film, ni ensuite durant toute la carrière, pourtant chaotique, du cinéaste ; c'est dire comme cette scène d'introduction a son importance et pose toutes les bases à venir, du cinéma selon Fulci.

 

 

L'une des grandes réussites ailleurs, c'est la direction d'acteur ; nous avons droit à trois personnages passionnants, bien plus fouillés qu'à l'accoutumée au sein du genre, avec des rapports au père (pour le moins torturés et où le dominant n'est pas toujours celui que l'on croit), qui n'est pas loin de donner au Temps du massacre des airs de tragédie grecque bienvenus ; et comme derrière, le scénario de Fernando Di Leo tient assez bien la route, on a tout les ingrédients pour transformer la chose en un spectacle de grande qualité.
Franco Nero a rarement été aussi beau et bien filmé (oui Mesdames !), et on pourra presque le préférer là que dans le pourtant plus rennomé Django, tourné quasi en même temps par un Sergio Corbucci inspiré. Avec sa présence ténébreuse, son personnage qui très longtemps, ne sait pas comment agir (une constante chez Fulci : Thoma Milian dans La Longue nuit de l'exorcisme / David Warbeck dans Le Chat Noir ou L'Au-delà), la géniale photographie tout en contrastes obscurs qui le cadre, amplifiant ainsi, la dimension déjà charismatique de l'acteur, on tient là une belle icône du genre, chose indispensable à la réussite de l'entreprise.
George Hilton dans le rôle du frère à la ramasse étonne également. Loin de ne jouer que les faire-valoir, il est excellemment campé dans ses doutes et contradictions et c'est qu'ici que peut-être Luci Fulci rend son dû au Western Américain, car le personnage en question, dans son évolution surprenante, où l'on s'apercevra qu'il n'est pas tant inapte et inutile que cela, bien au contraire, rappelle fortement le personnage de Dean Martin au sein de l'incontournable "Rio Bravo" de Howard Hawks.
Une cerise sur la gâteau peut-être? Et bien oui, en la personne de Nino Castelnuovo, qui livre ici un personnage sadique d'anthologie, où à l'inverse des deux héros, sous le joug du père, ne serait-ce que mentalement, celui-ci le domine jusqu'à ce que le géniteur devienne l'esclave, aussi bien psychiquement que physiquement, révélant là toutes les névroses refoulées ailleurs dans des caprices violents, alors qu'il s'agit pourtant, au préalable, d'un petit fils à papa, bien confortablement assis. Non, ce qu'aime Johnny, c'est se mettre à l'orgue funèbre, après une bonne petite chasse à l'homme...
Quand le méchant n'est pas loin de voler la vedette aux protagonistes principaux d'un film, c'est en général bon signe (et il faut répéter en passant, combien Nino Castelnuovo est l'un des meilleurs représentant du cinéma de genre transalpin de l'époque), mais quand les trois principaux protagonistes ont une présence aussi percutante à l'écran, inutile de préciser combien cela vient achever d'équilibrer un film tout en lui donnant de l'épaisseur.
Ils ne sont pas si nombreux ceux qui ont réussi à donner une aussi belle dimension à ses personnages au sein du Western transalpin ; Trintignant / Kinski dans Le Grand Silence, Milian / Van Cleef chez Sollima, Lou Castel / Gian Maria Volontè dans le El Chuncho de Damiani, Nero / Milian dans Companeros et quelques autres encore, mais assez peu au final, si l'on regarde la production et la quantité de films qui l'habille.

 

 

Que dire encore, sinon que le rythme est soutenu du début jusqu'à la fin, que les rebondissements en série qu'offre l'aventure, due à Fernando Di Leo, tiennent bien la route, amenant, lentement, sûrement, puis allant enfin crescendo, les personnages dans une vengeance qui semble inéluctable.
On a alors droit à une succession de cadres plus beaux et inventifs les uns que les autres, qui renvoie là carrément chez Max Ophuls, ce qui n'est certainement pas fortuit puisque Fulci en fut l'assistant ; il est difficile de dénombrer le nombres de scènes où les décors et surtout les personnages, sont recadrés à travers des granges, fenêtres, gâchettes de fusils, roues de chariots, nous offrant là, une succession de tableaux stylisés de toute beauté d'autant qu'ils sont soutenus par un montage aussi sec qu'un coup de fouet et contribuent alors à un spectacle des plus somptueux, aussi fascinant dans sa maîtrise technique, dans l'approche de ses personnages que dans son atmosphère générale au allures dépressives que l'on retrouvera plus tard dans ses 4 de l'apocalypse, en plus décalé, moins directe, mais peut-être plus développé.
Les décors sont exploités ici à leur maximum, et Lucio Fulci dépose alors sa marque, toute en stylisation brute et si les personnages secondaires ne sont pas négligés (un père qui prend conscience d'être dépassé par ses créations, dont un fils indigne / un Chinois qui cite Confucius pour se faire payer les informations qu'il donne / Un Indien à la solde des bandits mais gardant malgré tout, un peu d'âme originelle), le décors, qu'il soit de rocailles, de bois ou de terre, souligne admirablement les tensions internes et externes.

 

 

Pour finir, et même s'il y aurait sans doute, pas mal d'autres choses à dire sur ce que je considère comme la première réussite éclatante du réalisateur, il y a une scène que je ne manquerais pas de citer, celle où Franco Nero est fouetté comme plâtre par Johnny Scott, alors qu'il venait rendre visite au vieux Scott ; si jamais j'ai eu mal parfois à la vision de certains plans d'un film, nul doute que la façon dont Fulci étire au maximum la punition, lorgnant vers la mort et la longue agonie qui peut l'accompagner parfois, me fait encore froid dans le dos, quoiqu'à l'écrire, finalement j'en jubile.
S'il manque une seule chose à ce jalon maître du Western Spaghetti (très "All dente" pour celui-ci / très cru, très extrême), afin d'avoir la notoriété que d'autres ont et que celui-ci mériterait d'avoir, ce serait peut-être à chercher du côté de la partition musicale de Lallo Gori, qui s'en être indigne, ne possède pas pour autant les accents et la personnalité propre à un Ennio Morricone, capable de figer une oeuvre, achevant de l'inscrire dans la mémoire collective, et qui aurait emmené ce magnifique Temps du massacre au sein d'une reconnaissance populaire qui semblait pourtant lui revenir...

 

Mallox
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