Angoisse
Titre original: Angustia
Genre: Horreur , Thriller , Psycho-Killer
Année: 1987
Pays d'origine: Espagne
Réalisateur: Bigas Luna
Casting:
Zelda Rubinstein, Michael Lerner, Talia Paul, Angel Jove, Clara Pastor, Isabel Garcia Lorca...
Aka: Anguish
 

"Angoisse"... ou un entrelacs complexe entre cauchemar et réalité, vécu et fiction, fantasmes ou réalité terre-à-terre... Nous, spectateurs, voyons des spectateurs regarder "The Mommy" : l'histoire d'un ophtalmologiste (Michael Lerner) qui, sous le joug d'une maman déglinguée (Zelda Rubinstein), assassine à qui-mieux-mieux des yeux pour les collectionner. L'angoisse monte dans la salle et le spectateur est peu à peu pris de tension ciné-mimétique, tandis que le psychopathe est quant à lui hypnotisé par sa folle de mère. Sa psyché tourmentée lui fait croire qu'en collectionnant des yeux, la cécité progressive de son fils sera ralentie sinon stoppée. Certains spectateurs, les plus sensibles, n'en croient pas leurs yeux. D'autres sont hypnotisés. Le collectionneur d'yeux s'en va maintenant perpétuer des meurtres dans un cinéma projetant "Le monde perdu" pendant que, perdus, les spectateurs commenceront à vivre ce que jusqu'à présent ils vivaient par procuration. La salle de cinéma semble progressivement plongée dans une angoissante torpeur qui va petit à petit se faire le révélateur des tourments et fantasmes de chacun...

 

 

... Pendant ce temps, dans un canevas quasi-expérimental allant crescendo, tournons une fois encore en rond pour redire que nous spectateurs, voyons des spectateurs regarder un spectacle dans lequel un meurtrier est à la fois acteur et spectateur de sa propre condition, tandis que le voyeur qui sommeille en nous est lui-même scruté sous la houlette malicieusement tourmentée d'un Bigas Luna plutôt inspiré. Quoique...

Difficile en tout cas de parler de Angustia, qui est le parfait exemple de film qui ne se raconte pas. Un film qui, non seulement ne se raconte pas, mais dont le réalisateur a toujours demandé à ce que rien ou presque ne soit dévoilé. Pas commode non plus d'analyser une spirale sans fin, conçue elle-même pour être projetée dans un cinéma et non pas dans un salon. A partir de là, comment juger, voire apprécier à sa juste valeur un spectacle de la sorte, ce après avoir enfourné le dvd qui sert à cette chronique tandis qu'à l'époque, notamment lors de sa projection en 1988 au Festival Fantastique du Grand Rex, Bigas Luna lui-même demanda pour une interactivité accrue qu'un personnage soit présent devant l'écran panoramique de la salle afin de répondre au film et lui-même camper le rôle de spectateur. On rappellera que, dans une ambiance très agitée et pour l'une des dernières années dudit festival, Bigas Luna était reparti avec le prix du meilleur scénario ainsi que le prix très spécial.

 

 

Prix généreusement accordé pour un film quelque peu surestimé ? Cela n'est pas impossible. Angustia fait partie de ces films qui déboulent en criant leur originalité au haut-parleur à la manière des vendeurs de chouchous sur les plages. Résultat : la déception peut s'avérer cruelle et le chouchou trop sucré, obligeant ensuite l'acheteur à se désaltérer. Une bobine en spirale sans fin, soit, mais qui forcément s'avèrera incomplète dans la mesure où le cinéaste,même derrière la caméra, entend boucler son film. C'est là qu'est le paradoxe de Angoisse, qui se veut donc labyrinthique mais dans lequel non seulement il restera toujours une échappatoire (contrairement aux portes du cinéma projetant le classique de Harry O. Hoyt, fermées de façon autoritaire par Michael Lerner pour perpétuer ses crimes) ; mais également dans lequel l'interactivité sera, et le sujet, et la condition optimum, pour apprécier de façon optimale ledit spectacle. A ce titre, certains films ont déjà traité du même thème, touchant au plus profond le code sensible du spectateur, sans pour autant annoncer la couleur. C'est le cas par exemple de "Peeping Tom", du grand Michael Powell, qui choqua au point d'empêcher dès lors le réalisateur de tourner. Que dire de certaines images du "Chien andalou", sinon qu'elles ne demandent encore aujourd'hui aucune justification ni interprétation supplémentaires. A partir de là, le spectacle ici donné à voir s'impose des limites qui n'ont pas lieu d'être, et qui en décrédibilisent le côté volontairement abyssal.
L'autre gros défaut de Angustia, c'est l'un des personnage censé servir de liant mais qui, tout compte fait, se révèle être trop vite le maillon faible : difficile d'éprouver le moindre sentiment d'identification pour le malaise grandissant de cette adolescente qui vit la bobine horrifique se déroulant devant ses yeux jusqu'à la suffocation et le traumatisme. Dans une optique d'interactivité le spectateur, même moyen et non rompu au thriller horrifique, aura du mal à se reconnaître. Quant à la peur, ou même la terreur censée se propager, elle en est de par ce même personnage (on peut évoquer également la femme se rapprochant de son mari afin d'être rassurée) quelque peu atténuée, le spectateur prenant alors un recul trop grand par rapport à ce qui lui est donné de voir.

 

 

Néanmoins, Anguish se reprend parfaitement ensuite. S'il échoue quelque peu dans sa volonté hypnotique à cause d'un personnage trop grossièrement croqué, ainsi que d'un cran de pellicule dans sa méditation sur le thème du voyeur/voyant/vu, il fonctionne parfaitement en tant que pur film de terreur, doté d'un pitch plus original que la moyenne, en tout cas dans un genre qui a même vu passer des Démons trollesques dans ces mêmes fauteuils cinématographiques capitonnés. Autant dire que les deux opus de Lamberto Bava sont purement et simplement renvoyés dans leurs cordes, tandis que du même côté transalpin Michele Soavi et son "Bloody Bird", tourné l'année précédente, n'est finalement pas bien loin.
On rappellera également que deux ans auparavant était sortie sur nos écrans "La rose pourpre du Caire" qui, sur un mode comique, abordait avec réussite les mêmes thèmes. On put croire du reste, à l'époque de sa projection au regretté Festival Fantastique du Rex, à une relecture façon thriller de la brillante comédie de Woody Allen, à la différence notable que la transmission des émotions se fait ici de façon plus télépathique et mimétique, sans que les personnages aient à sortir de l'écran pour que le rêve (le cauchemar ici) et la réalité ne se mélangent.

 

 

Point trop en dire il faut... Terminons ici toutefois pour simplement mentionner la joyeuse succession de morceaux d'anthologie à laquelle on assiste, en plus de la dimension finalement plus ludique qu'interactive que propose à ce jour le film. Commençant comme un Psycho-Killer, Anguish se transforme peu à peu en thriller à la fois mental et épidermique pour culminer en Reality Show au sein duquel le spectateur se regardera même se lever de son siège pour quitter la salle. Giallo pour les quelques beaux coups de couteaux tranchant des jugulaires, des scalpels exorbitant des yeux façon Eyeball de Lenzi, des meurtres dans un cinéma à la manière de Qui l'a vue mourir ? d'Aldo Lado... Un hommage au père, Alfred Hitchcock bien entendu, avec "Les Oiseaux", puis "Psychose", ainsi qu'à tout un pan du cinéma horrifique où le tueur en série est à la fois un prédateur mais aussi la victime d'un cordon ombilical mal coupé. (A cet égard, vient s'insérer de manière symbolique - peut-être trop - le foetus de Michael Lerner, lequel, adulte, se blottit encore dans le giron d'une mère sur-protectrice et de fait excessivement possessive). Prise d'otage sensationnaliste dans un final s'insérant dans une tradition toute hollywoodienne, et objet filmique servant de "révélateur" aux conditions de réalisateur et de spectateur ainsi qu'à une sorte de mise en abyme des années slashers, Anguish est avant tout un exercice ludique brillamment mis en scène, avec un statut culte programmé de façon un brin roublarde et mégalo, plus qu'une réussite absolue. Disons qu'il offre, tout compte fait, un chouette thriller quasi expérimental ; mais qu'au niveau folie ou originalité, il n'est pas interdit de lui préférer l'excellent "Jambon, Jambon", peut-être plus allumé de l'intérieur, et en tout cas plus iconoclaste.

 

 

Mallox


En rapport avec le film :


# La biographie de Juan José Bigas Luna


# La fiche dvd Filmedia du film Angoisse

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