Le colonel Paradowsky et le Major Borovin, deux cosmonautes soviétiques, s'apprêtent à monter dans la fusée qui les emmènera sur la Lune. Seulement, dans leur course à la conquête spatiale, depuis une bonne décennie, les missions lunaires se soldent par des échecs. C'est à nouveau le cas cette fois-ci : après avoir été filmés et mis en ligne de mire par les journalistes et les politiques soucieux de donner une dimension prestigieuse à l'évènement, voici que la communication avec nos deux hommes, semble-t-il perdus dans l'espace, est définitivement coupée.
Pendant ce même temps, dans une petite ville d'Italie, Franco et Ciccio, deux criminels de petite envergure, sont en train, tant bien que mal, de cambrioler une bijouterie. Les objets semblent se révolter et même les billets de banque s'envolent, alors que nos deux lascars veulent mettre la main dessus. Organiser un cambriolage le même jour et au même endroit que deux autres bandits, forcément, cela ne va pas sans poser quelques menus problèmes.
A Moscou, au siège du K.G.B., on ne rigole pas : il convient de sauver les apparences. Et même si les deux cosmonautes sont à l'ouest sur la Lune, probablement morts, l'idée germe de leur trouver deux sosies en remuant ciel et terre, afin de faire croire que la mission a réussi. C'est ainsi que des agents du comité pour la sécurité de l'Etat soviétique trouvent Franco et Ciccio, les kidnappent, puis les envoient dans l'espace. Voilà donc nos deux cambrioleurs qui s'exercent à leurs dépends, à faire de la haute voltige ! Bientôt la Lune est en ligne de mire, et, après quelques péripéties et visions célestes hallucinantes, la mission est une réussite. Franco et Ciccio sont rapatriés en héros à Moscou tandis que Paradowsky et Borovin réapparaissent...
002 operazione Luna n'est bien entendu pas la première collaboration entre Lucio Fulci et nos deux comiques siciliens susnommés, bien trop souvent vilipendés, puis rangés, vite fait bien fait, dans la catégorie des comiques de troisième zone. Après les avoir testés dans des rôles secondaires au sein de quelques-unes de ses comédies parodiques et vaudevillesques comme Les faux-jetons (Le massaggiatrici, 1962), Gli imbroglioni (1963) ou encore I Maniaci (1964), Lucio Fulci, compte bien remplacer son ex-égérie, Adriano Celentano avec qui il a tourné Urlatori alla sbarra (1960) ou Un type étrange (Uno Strano Tipo, 1963) pour de nouvelles associations ayant pour but de faire recette. Il pense avoir trouvé avec Franco et Ciccio, un nouveau filon à exploiter et sur lequel il peut capitaliser sans trop de risques. S'ensuit donc une série de comédies à peu de frais, genre dont il est spécialiste depuis la fin des années 50, avec les deux larrons dont le comique est à faire pâlir Abbott et Costello. Les résultats en termes quantitatifs sont là, le public suit, et le duo, bien que celui-ci ne passera jamais vraiment les frontières transalpines, marche du tonnerre au beau milieu des années 60. Le succès étant au rendez-vous, cet opus lunaire est la cinquième collaboration entre Fulci et Franco et Ciccio en têtes d'affiche. Si I due evasi di Sing Sing (1963) et "002 agenti segretissimi" étaient des délirantes parodies de films noir et des films d'espionnage de la guerre froide, Come inguaiammo l'esercito en 1965 marquait un net essoufflement d'inspiration. 002 Opération Lune quant à lui, offre un résultat en demi-teinte : parfois bavard et pathétique mais aussi, à d'autres moments hilarant, il est l'exemple qui scelle la preuve que le duo si dénigré n'est jamais aussi efficace que lorsqu'il est utilisé de façon imaginative et rythmée et non pas livré à lui-même.
S'il y a dans 002 Opération Lune un passage qui atteste de ce fait, c'est la partie mettant en scène les deux criminels improvisés cosmonautes, enfermés dans leur capsule spatiale. D'une longueur anormalement distendue, le segment qui se devait logiquement d'illustrer le titre du film est de loin ce que le film recèle de pire. Assis durant presque une demi-heure, la caméra se fige avec eux pour ne plus capter qu'un long sketch inepte en huis-clos. Franco Franchi a beau écarquiller les yeux avec un strabisme autant fortement divergeant que répétitif tandis Ciccio Ingrassia lui donne la réplique en allongeant une mâchoire déjà suffisamment longue, tout cela, il faut bien l'admettre, tombe à plat et se révèle même assez pénible.
Pourtant, dès que la mise en scène d'un Fulci - déjà techniquement maître de son art - s'emballe, le spectacle peut, à contrario, devenir irrésistible. En témoigne une avalanche de scènes trop nombreuses pour être ici recensées, tout en laissant les joies (ou déceptions) de la découverte si jamais un éditeur français avait la bonne idée d'éditer les comédies fulciennes. Ceci étant, on peut affirmer sans dévoiler quoi que ce soit d'essentiel, que 002 operazione Luna commence sous les meilleurs auspices. Après un préambule montrant les deux astronautes soviétiques, le générique s'emballe sur une effervescente partition de Coriolano Gori ("L'espion qui venait du surgelé"), que d'ailleurs Fulci reprendra ensuite pour Les faux jetons, "Come svaligiammo la banca d'Italia" (1966) ou encore Le temps du massacre. Le film démarre comme un joyeux mélange lorgnant autant vers le Blake Edwards de "La panthère rose" que vers la plus pure tradition de la comédie italienne ("Le pigeon"). Les situations cocasses et absurdes s'enchaînent à un rythme si dynamique qu'il est difficile de réfréner son rire. Ce qui s'annonçait comme un cambriolage parodique classique accède quasiment au rang de surréalisme dès lors que deux autres cambrioleurs entrent en scène. Sans vouloir paraître m'emballer outre mesure, il est difficile alors, de ne pas avoir une pensée pour les géniaux Marx Brothers. Alors soit, après une première partie pleine de promesses, le film est plombé ensuite dans une partie où Fulci se repose trop sur les ressorts comiques limités de nos 002 héros. Il se rattrape néanmoins en fin de voyage lunaire à partir du moment où, flottant dans l'espace, Franco et Ciccio voient passer ce qui ressemble à un squelette de chien avec un seau sur la tête (Laika ?), suivi d’un squelette humain en pièces détachées. Un moment complètement hallucinant qui redynamise soudainement une pellicule alors autant en perdition que la capsule des deux Siciliens. Leur retour se fera donc en fanfare, tandis que Lucio Fulci, plus à l'aise dans le mouvement et le comique slapstick, retrouve jusqu'au final, une belle inspiration. S'enchaînent même alors des gags et des quiproquos accédant par moments à une sorte de sublime débilité.
Ainsi, lorsque Franco et Ciccio, dotés d'accents siciliens impossibles se retrouvent en Union Soviétique, soudainement mariés aux épouses des cosmonautes russes, le film prend une dimension gargantuesque qui dépasse l'entendement. Après avoir été invités (de force) au siège du K.G.B. où ils sont accueillis en sauveurs et n'ont jamais l'occasion de s'exprimer face à un haut fonctionnaire d'Etat qui entend bien les modeler, ils seront accompagnés dès lors des ravissantes Mishca (Mónica Randall - Superargo contre Diabolikus), Leonidova (Linda Sini - La longue nuit de l'exorcisme) et Maria Silva ("L'horrible Docteur Orlof"), ce qui, loin de ralentir le rythme, permet à Fulci de dérouler avec savoir-faire, des situations dépassant la simple formule pour se transformer en déferlante de gags tous plus allumés les uns que les autres. Franco dansera la Polka russe avant de faire la serpillière, tandis que Ciccio, voulant faire honneur à la tradition, se bousillera un pied en brisant son verre de vodka dessus après l'avoir bu. Fulci exploitera par ailleurs ce qui lui avait réussi dans Un type étrange, à savoir, le coup du sosie. A la différence ici que ce ne sont pas deux Adriano Celentano qu'on retrouvera à l'écran, mais deux Franco et deux Ciccio ! De fait, vous l'aurez compris, les allergiques au duo devront s'abstenir sous peine de se tenir la tête entre les mains ! Les autres, les amateurs de spectacles énormes, de gags nonsensiques et de prestations loufoques et habitées, seront dans les meilleurs moments du film, téléportés.
Bien entendu, il convient pour finir, de souligner le fait que Fulci, comme à l'usuel, fait preuve d'une mordante ironie politique et sociale dans sa peinture de la propagande propre à la conquête spatiale. Le ton est quant à lui à la caricature (voir le scientifique russe qui, en guise de communication avec les cosmonautes, balance du "Popov" tous les trois mots) afin de rester en retrait et de ne pas ralentir un rythme somme toute inégal, mais toutefois satisfaisant pour un film qui alterne donc le pire (un tiers du film) et le meilleur (le reste).
Mallox