Au-delà, L'
Titre original: L'Aldila
Genre: Horreur , Macabre
Année: 1981
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
David Warbeck, Catriona MacColl, Cinzia Monreale, Antoine Saint-John...
 

Pas la peine de tourner autour du pot, L'Au-delà est un chef-d'oeuvre doublé de l'un des meilleurs films d'horreur transalpins des années 80 et même beaucoup plus encore ; il s'agit là d'un presque testament de son auteur qui, on le sait, fut peu après atteint d'un diabète grave. C'est un homme hanté par la mort et doté d'un esprit à la fois rationnel mais qui voudrait croire en l'irrationnel, de plus doté d'un caractère de cochon ; Lucio Fulci a toujours davantage voulu croire à l'enfer, tout en s'enfonçant dans une provocation, et dans sa façon d'aborder le thème en le disséquant au sens propre comme au figuré, et parce que l'homme n'a jamais crû au paradis, ni sur Terre, ni ailleurs. Nous avons affaire ici à quelqu'un de la race des sangliers blessés chargeant jusqu'à ce que mort s'ensuive. Voici donc de quoi il retourne dans ce magnifique film pour lequel tout semble avoir été déjà dit, et pourtant...

 

 

Ça commence en Louisiane, en 1927 ; dans un contexte de croyance en la sorcellerie, Schweik, artiste peintre de son état, a le malheur d'achever sa dernière oeuvre, une représentation de l'enfer. Cela lui coûtera la vie, puisque les villageois verront en lui un sorcier et s'empresseront, dans un cruel lynchage, de le crucifier après l'avoir brûlé vif à la chaux vive...

Nous voici ensuite transportés en 1981, époque à laquelle Liza hérite de l'hôtel qui servit à l'horrible tragédie et, dans un souci de rénovation, engage des ouvriers. Dès lors de mystérieux et atroces phénomènes se produisent : l'un des employés fait une chute mortelle après avoir eu la vision d'une femme aux yeux blancs vitreux ; un peu plus tard, c'est un plombier qui est assailli et déchiqueté par une créature putride sans nom, alors qu'il venait de découvrir une entrée cachée derrière l'un des murs de la cave.
Dans un même temps, Liza fait la connaissance d'Emily, jeune femme aveugle, errant au milieu d'une route sans nom, en compagnie de son berger allemand. Rencontre fortuite ? Peut-être pas car Emily met vite en garde Liza sur les dangers dont regorge l'hôtel et lui conseille vivement de quitter les lieux, lui expliquant que celui-ci est maudit, et lui raconte alors l'histoire du peintre jadis crucifié dans la chambre numéro 36. Tout semble lui donner raison puisque la femme du plombier sera tuée avec de l'acide tandis qu'elle se trouvait à la morgue, veillant sur le défunt. Selon Emily, l'hôtel donnerait accès à l'une des sept portes de l'enfer, dont Schweik serait le gardien...

 

 

Dès l'une des premières scènes, après un préambule remarquablement photographié tout en couleur sépia, celle où le peintre est fouetté par les chaînes de ses bourreaux, le ton est donné : Fulci non seulement s'auto-cite car il est difficile de ne pas penser à Florida Balkan également fouettée de la sorte dans son excellente Longue nuit de l'exorcisme de 1972, mais c'est bien de peinture qu'il s'agit là ; elle déteint progressivement pour devenir le paysage thématique et métaphysique du film et finit par devenir réalité, si bien que nos deux héros la rejoignent au final, un peu comme Orphée traversant le miroir. Et l'on peut facilement extrapoler, en passant, sur le fait que Fulci, peintre de la mort et de l'enfer, se voit ici en martyr, ce qui ne serait pas totalement injustifié au regard de l'accueil qu'il reçut tout au long de sa carrière.

 

 

Dire que L'Au-delà, que l'on l'apprécie ou non, s'inscrit à ce jour dans la mémoire collective, est évocateur d'une oeuvre toute entière qui ne cesse d'être découverte ou redécouverte, comptant chaque année de nouveaux amateurs, si bien que Fulci doit se réveiller aujourd'hui dans sa tombe comme le vieux bourru qu'il a toujours été. Quoi de plus normal ? Il y a un parallélisme que nul ne serait tenté de faire et que pourtant je ne cesse de voir au fur et à mesure que je redécouvre Fulci : il y a selon moi, une parenté avec Luis Buñuel tant dans les thématiques, riches en charges sévères et sans appel contre les institutions les plus ancrées, que dans sa forme qui rejoint pour le coup le fond et, comme Buñuel, Fulci a épuré au fur et à mesure son cinéma. Pas épuré de façon formelle puisqu'on atteint ici un sommet de violence graphique, mais une épuration narrative qui lui permet d'aller au plus loin dans l'appréhension de ses démons, la maladie, la mort, et ce à l'inverse de Buñuel qui a fini sa carrière avec des films très dépouillés stylistiquement, mais souvenez-vous du "Chien andalou" et l'oeil coupé à la lame de rasoir...
C'est bien la même chose qu'on retrouve ici, avec la même inspiration surréaliste, plongeant le spectateur dans un tout onirisme qui fait ressembler l'oeuvre davantage à un poème noir et décalé (proche également d'un Edgar Poe) qu'à une narration classique en bonne et due forme, ce que Fulci sait pourtant très bien faire (L'emmurée vivante). Fulci, plus hanté par la mort que jamais, et se devant de surpasser ses monstrueux opus précédents que sont L'enfer des Zombies et Frayeurs, va en 1981 droit au but. Du reste, il n'a plus rien à perdre alors et lorsque certains pensent qu'il a trouvé sa voie avec L'enfer des zombies, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ! L'homme n'a fait qu'approfondir son thème de toujours, son démon intérieur et ce à travers l'exploitation des genres : du western (Le Temps du Massacre), à l'oeuvre historique (Beatrice Cenci son oeuvre qui, soit dit en passant, se rapproche le plus de Bava et de son "Le Corps et le Fouet"), en passant par le giallo (Le Venin de la Peur avec encore une parité avec Buñuel). Et ce à quoi on assiste là, c'est bien l'apothéose de l'exploitation.

 

 

Alors qu'en reste t-il 25 ans après ? Une oeuvre dantesque, moderne, décalée, onirique, surréaliste, d'une beauté à couper le souffle. Il faut répéter combien le final est quelque chose de jamais vu au cinéma, si bien que L'Au-delà, à ce jour, pourrait quasiment se passer de paroles et c'est aux maîtres d'un cinéma muet esthète qu'il renvoie le plus souvent, peu importe l'intrigue peu rigoureuse, peu importe une scène d'araignées qu'on a pu trouver chiche en son temps et les détracteurs de Fulci ont eu tort de se focaliser là-dessus. Bien au contraire ladite scène où les araignées viennent dépecer l'un des protagonistes renvoie à l'essence même du cinématographe et c'est peu dire qu'elle ne m'a pas gêné, bien au contraire. Nous nageons ici dans les tréfonds de l'onirisme, et le plus beau qui soit, et c'est peut-être à ce prix qu'on gagne au final une modernité à travers les temps, les défauts originels de l'oeuvre empêchant de la dater.
Puisant chez Poe, Lovecraft, Dario Argento d'un côté, exploitant le film de genre alors au firmament (Inferno / La sentinelle des maudits / Shining), mais en même temps très proche de son crépuscule, et se revendiquant plus de Jacques Tourneur que de Mario Bava, Dario Argento ou de Georges A. Romero, Lucio Fulci livre ici ce que je considère comme son aboutissement au sein du monde des morts, comme l'était en son temps Le venin de la peur au sein du giallo, et livre une succession de peintures infernales, les plus belles qu'on ait vues depuis Murnau. Les compositions picturales remportent la partie et font ici l'histoire.
Personne n'oubliera jamais l'énucléation de Martha la servante, si bien qu'aujourd'hui encore elle est reprise un peu partout (Saint-Ange de Pascal Augier pour le plus récent) ; pareil pour le chien qui se retourne contre sa maîtresse aveugle dans une attaque jugulaire sans égal (hormis celle de son frère ennemi Dario Argento au sein de "Suspiria"), succédant à une atmosphère oppressante où la mort n'a jamais été aussi palpable au préalable. Il ne faut pas omettre de dire combien Fulci sait tenir une caméra et sait aussi prendre son temps pour installer le climat le plus glauque, claustrophobe, moite, putride qui soit, donnant ainsi vie à la mort d'une manière si stupéfiante que l'on ne peut que reconnaître l'intelligence d'un grand maître. Et quand bien même il emprunterait à tout va, mangerait à tous les râteliers du genre en vogue, c'est d'une oeuvre absolument personnelle qu'accouche le maestro ; une seule image suffit pour savoir chez qui nous sommes conviés !
Que dire encore sinon que la totale réussite de ce film est aussi une histoire de symbiose, que les talents conjugués du photographe (Sergio Salvati), du maquilleur (Gianetto de Rossi), la partition inoubliable, génialissime et envoûtante de Fabio Frizzi, ainsi que la présence de l'icône au charisme italo-british Saint David Warbeck, ainsi que la parfaite Catriona MacColl achèvent de faire de "L'Au-delà" l'archétype parfait du film d'horreur italien des années 80, en plus d'être tout simplement un chef-d'oeuvre de l'histoire du cinéma tout court.

 

 

Et si David Warbeck continue de tirer dans le torse des zombies tout au long du film, alors qu'il sait pertinemment que ce sont leurs tronches qu'il faut faire exploser, que celui-ci recharge également son pistolet par le canon le temps d'un plan, que cela prouve t-il sinon l'humour décalé de gens en parfaite confiance et harmonie, avec en maître d'oeuvre un Fulci doté d'un détachement total pour l'anecdotique au profit de l'essentiel ? L'enfer est à portée de main et celui-ci a su trouver lui aussi l'une de ses portes, peut-être même la première...

 

 

Mallox

 

 

 

A propos du film :

# L'histoire veut qu'à l'aube de 1996, Fulci se soit laissé mourir, ne prenant, semble-t-il, ses cachets indispensables contre le mal dont il est atteint, et il sera toujours difficile de croire (ce grand bonhomme a commencé sa carrière par des études en médecine), que l'acte ne fut pas volontaire... Assez de spéculations, même si j'aime bien ce qui n'est peut-être que légende et la préfère à celle de la supposée crise cardiaque ; laissons toutefois de côté la part de mystère qui lui appartient encore à ce jour, espérant par là même que le saint maestro soit, à l'heure où j'écris ces lignes, en compagnie des plus beaux cadavres qui soient... Eibon Eibon Eibon.

 

En rapport avec le film :

 

# Le combo Livre/Blu-ray/dvd Artus Films

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