Démon dans la chair, Le
Titre original: Il Demonio
Genre: Horreur , Drame , Possession , Sorcellerie
Année: 1962
Pays d'origine: Italie / France
Réalisateur: Brunello Rondi
Casting:
Daliah Lavi, Frank Wolff, Anna María Aveta, Rossana Rovere, Tiziana Casetti, Dario Dolci, Franca Mazzoni, Lea Russo, Nicola Tagliacozzo, Giovanni Cristofanelli...
Aka: The Demon / Le Démon (titre français secondaire)
 

Purif (Daliah Lavi), une jeune paysanne du sud de l'Italie est soupçonnée d'être une sorcière possédée par un démon et d'avoir jeté son dévolu sur Antonio (Frank Wolff), un homme déjà marié qu'elle harcèle. Il est vrai que la jeune femme aime à pratiquer la magie et, dans un village où la foi catholique mais aussi la superstition font loi, inutile de préciser que ces comportements sont vus d'un mauvais œil. Du reste, régulièrement, son père la bat puis la ligote, afin qu'elle cesse de s'adonner à ces pratiques qui sèment la honte sur la famille. Le jour où un jeune paysan meurt dans son lit tandis que Purif assure l'avoir vu au même moment près de la rivière, elle devient la proie de tout le village qui, prêt à la lapider, la bannit...

 

 

Tourné dans les régions sud-italiennes de Matera, Montescaglioso et Miglionico, Il Demonio, sorti en France en 1967 sous le titre Le Démon dans la chair, possède une force documentaire quasi hallucinatoire. Les paysages arides et rocailleux, les arbres dénudés aux formes presque macabres, les habitations typiquement troglodytes à flanc de montagne, servent de décors à un drame fantastique et horrifique atypique. À cela s’ajoute que la plupart des acteurs secondaires et figurants sont des autochtones, ce qui en fait une œuvre qui porte les stigmates du néo-réalisme. Le regard y est également porté sur l'individu dans la collectivité (en gros celui-ci ne peut exister sans son contexte social), l'explication s'efface face à de simples faits devant lesquels le spectateur se retrouve seul, tandis que le temps y apparaît régulièrement comme un vecteur du récit. Quant à la description de la communauté, elle porte les germes d'un regard tout à la fois neutre, propre au documentaire voulant coller à la "vérité", mais aussi extrêmement critique. À la vision de Il Demonio, l'une des premières choses qui frappe est l'affiliation que l'on peut faire avec un autre film, plus tardif : Non si sevizia un paperino, que tournera Lucio Fulci. La critique du sud de l'Italie, englué dans ses superstitions, est la même, tandis que le personnage principal (Purif/Daliah Lavi) évoque clairement celui campé par Florinda Bolkan dix années plus tard. Du reste La Longue nuit de l'exorcisme sera également tourné à Matera (*).

 

 

Au niveau des situations, ce qu'on trouve dans Il Demonio, n'est pas moins étonnant, a fortiori à le remettre dans son contexte d'époque...
Purif (comme Purificata) pratique la magie à partir de son sang qu'elle fait chauffer dans la cheminée avant de le mélanger à de l'eau pour jeter un sort à celui qu'elle aime ; elle se fait également ligoter puis violer par un vieux gardien de moutons ; elle entonne des phrases antéchristiques en pleine messe tandis, qu'un peu plus tard, alors qu'on pratique un exorcisme sur elle, elle se met à marcher cambrée à l'envers, telle une araignée (exactement comme on verra Linda Blair le faire dans L'Exorciste de Friedkin, ce qui n'est probablement pas le fruit du hasard). Ailleurs, après la mort de l'adolescent, l'hystérie la plus totale s'empare des villageois qui se croient contraints de porter leur fardeau : alors qu'ils gravissent le chemin montagneux, certains se font même fouetter puis, arrivés sur la grand place du village, se mettent à avouer des forfaits dont ils se sont rendus coupables. Et puis, impossible aussi d’oublier cette scène, complètement déjantée, dans laquelle les paysans étant certains que Purif hante l'air, se mettent à courir dans tout le village, torches à la main, afin de brûler son esprit volatil ! À ce moment-là, même l’eau que les gens boivent devient suspicieuse et peut cacher son esprit diabolique.

 

 

Coproduit par la Vox Films (Il Demonio précède "Le Corps et le fouet", tourné l'année suivante avec la même Daliah Lavi), la Titanus (qui abandonnera la production cinématographique peu après) et Marceau-Cocinor, Il Demonio est l'œuvre de Brunello Rondi.
Scénariste régulier au service de Federico Fellini, il est aussi un cinéaste atypique et iconoclaste, en tout cas en début de carrière. Il est l'auteur de 13 films dont "Une vie violente" (1962), "Mes mains sur ton corps" (Le tue mani sul mio corpo, 1970) ou encore l'étonnant bien qu'inégal Ingrid sulla strada, chroniqué en ces lieux, qu'il réalisa avant de tomber dans la facilité, limite graveleuse, l'exploitation et, pléonasme, d’opter pour l'opportunisme. Il dépote dès lors un cinéma plus putassier : en témoignent "Prison spéciale" (Prigione di donne, 1974) ou "Vicieuse et manuelle" (Velluto nero, 1976). Il n'en demeure pas moins que Il Demonio, présenté au Festival de Venise en 1963, est l'œuvre d'un véritable auteur, soucieux autant du fond que de la forme.

Le Démon dans la chair est un film pamphlétaire, qui dénonce des mœurs et méthodes ancestrales, de manière extrêmement crue et cruelle, fonçant tête baissée dans les tabous en épousant le point de vue de son héroïne, dépeinte à l'image d'Hécate, la femme-bélier sorcière de l’astrologie diabolique, maquerelle lubrique du Zodiaque. Du reste, le sortilège soi-disant jeté par Purif est le fruit de son attirance sexuelle pour Antonio. Lorsque les habitants du village avouent leurs fautes, il est question d'inceste, de pédophilie et même de zoophilie. La religion n'y est qu'un support dont Purif est l'instrument servant à tout un chacun pour ne pas assumer ses propre fautes et déviances et, ainsi, de les faire porter à une tierce personne, forcément profane, forcément adepte de la sorcellerie. Comme au Moyen Âge a-t-on envie d'ajouter. Des villageois qui sont à plusieurs reprises captés figés, à flanc de montagne, semblables à des statues d'un autre temps qui seraient restées là, sans jamais bouger, muer ni évoluer. Un autre plan y est magnifique : il montre Purif, de dos, telle une ombre de malédiction se tenant au sommet de la montagne surplombant le village et le dominant ainsi, lui et tous ses habitants. À ce propos, il convient de saluer le travail remarquable sur la photographie, dû à Carlo Bellero ("L'île aux filles perdues", "Ursus le rebelle", Le Grand défi, ...). Quant à la partition régulièrement dissonante, limite déglinguée de Piero Piccioni, elle finit de donner à Il Demonio une unité et une harmonie illustrant paradoxalement les méfaits d'une communauté tellement archaïque qu'elle évolue dans la déliquescence.

 

 

Bref, dans Le Démon dans la chair, l'être humain n'est pas bon à fréquenter, et dès qu'il se regroupe, la personnalité et le libre-arbitre se perdent au bénéfice de l'hystérie collective et aux dépends d'autrui. Vu la place importante de la religion à l'époque, notamment en Italie, il est possible que cette attaque en règle que représente ce très païen Il Demonio explique que le film soit devenu difficilement trouvable, à ce jour édité une seule fois par les Italiens de Medusa.
Si certains raccords y sont parfois brusques ou hasardeux et sentent la prise unique pour un budget modeste, il n'en demeure pas moins, en dépit de ses défauts, qu'il s'agit d'une œuvre forte, audacieuse, courageuse, voire provocatrice. De celles qui suscitent également chez le spectateur un sentiment hypnotique.

Il convient enfin de citer l'incroyable prestation de Daliah Lavi. Celle-ci porte le film jusqu'à le hanter tandis que Frank Wolff se montre largement à la hauteur dans un rôle a priori plus banal ou en tout cas plus sobre. Pour citer la séance d’exorcisme présente dans cette vénéneuse bobine, vous ne trouverez dans Le Démon dans la chair ni Amodeus, ni Leviathan, ni Balaam, ni Behemoth, ni Isacaron, ni même encore Astaroth, mais un film à ranger dans le coffre des perles occultées, de celles à (re)découvrir absolument !

 

 

Mallox




(*) Matera, où se déroule une grande partie des deux films (celui-ci et La Longue nuit de l'exorcisme de Lucio Fulci) est considérée comme l'une des plus vieilles cités habitées au monde. Elle est située dans la région de Basilicate et comprend les Sassi, un ensemble d'habitations troglodytes sculptées à flanc de montagne. Les Sassi ont d'ailleurs été évacuées en 1952 et son dernier habitant, en 1953, en raison de leurs conditions d'insalubrité.

 

En tout cas l'on pourrait presque s'amuser à faire un comparatif des paysages, des décors et des cadrages avec La Longue nuit de l'exorcisme. Nul doute que Fulci a vu le film de Brunello Rondi...

 

 

 

 

# Un autre visuel avec le titre français "secondaire" :

 

 

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