Fin du 19eme siècle, Emily de Blancheville se rend dans le nord de la France en calèche avec son ami, afin de rejoindre le domaine de Blancheville ayant appartenu à feu son père, et passé maintenant aux mains de son frère. Emily est hantée par l'accident qui a laissé brûlé vif son père, laissé alors pour mort. Ce dernier, pourtant, ne l'est pas tout à fait. Tenant sa fille pour responsable, il s'est même juré de la tuer avant son vingt et unième anniversaire, prévu cinq jours plus tard. Fraîchement débarquée, et autour du dîner du soir, un hurlement tétanisant éclate à proximité. "Ce n'est rien qu'un chien !" s'exclame son frère pour la rassurer. Pourtant, tout demeure de plus en plus inquiétant au sein du manoir. Ce n'est pas Helga, l'assistante de son frère, avec ses airs mystérieusement complotant et menaçant, qui la rassurera. Bien au contraire, une nuit, alors qu'elle s'aventure dans les méandres du château, voici qu'Emily ouvre une porte et tombe sur Helga en train faire une piqûre à un homme au visage entièrement brûlé. Son frère aura beau la rassurer, assez vite elle s'apercevra que son père n'est pas mort, et du sort que celui-ci lui réserve. La voici bientôt elle-même laissée pour morte et enfermée vivante dans un cercueil…
On a trop souvent tendance à réduire le cinéma gothique transalpin des années 60 aux seuls Mario Bava et Antonio Margheriti (Danse macabre, "La vierge de Nuremberg"). Il est vrai que Bava a ravivé le genre au début des années 60 avec son "Masque du démon", tout en lançant une égérie qui comptera énormément aux yeux des cinéphiles, quitte à se voir même fixée à ce genre, à savoir la très charismatique Barbara Steele. Pourtant ils sont nombreux les artisans à avoir tâté de ce genre et l'on peut citer en vrac, Georgio Ferroni ("Le moulin des supplices"), Riccardo Freda (L'effroyable secret du Dr Hichcock), Camillo Mastrocinque (La crypte du vampire), Massimo Pupillo (Vierges pour le bourreau, Cimetière pour morts vivants) ou encore, mais j'en oublie, Mario Caiano et ses amants d'outre-tombe. Dans le lot les livraisons sont inégales, mais certains ont acquis dès leur sortie ou bien au fil des ans, une petite renommée. Ce n'est pas le cas de Demoniac qui reste à ce jour et à mon humble avis, une belle réussite bien trop méconnue.
C'est entre deux péplums ("Persée l'invincible" et "Le Triomphe d'Hercule"), genre également très en vogue à l'époque, qu'Alberto de Martino s'attèle à ce projet, dont on retrouve au scénario des frères Corbucci inspirés et qui surfent intelligemment sur plusieurs autres courants ayant également le vent en poupe ailleurs, et à de Martino de transformer ce mixe de manière ici brillante, convoquant dans un même temps les mythes de la littérature fantastique tels Edgar Poe et sa "chute de la maison Usher", mais aussi Bram Stocker et son "Dracula" avec une héroïne (Emily De Blancheville, très bien campée par Ombretta Colli cantonnée elle aussi à ce moment de sa carrière dans le péplum) qui n'est pas sans rappeler Lucy Harker et ses déambulations de nuit. Pas étonnant non plus qu'on y retrouve à la fois l'atmosphère de certains films de la Hammer, avec en point de mire "Les Maîtresses de Dracula" pour le plus évident, ainsi qu'une esthétique étonnante, pas très éloignée finalement de certains films fantastiques mexicains en vogue vers la fin des années 50. On pense par moments aux oeuvres de Fernando Mendez ou Julian Soler. (A noter que si le film a bien été tourné en noir et blanc, la copie VHS proposée en France chez Delta Video est en Sépia, ce qui ne gâche pas le plaisir).
On rappellera également qu'il s'agit d'une co-production italo-espagnole et à ce titre, outre le scénariste Natividad Zaro, il convient de mettre en avant la fantastique photographie de Alejandro Ulloa qui contribue de manière monumentale, au cachet et à l'ambiance de terreur ici savamment distillée pour ne pas dire constante. Si les scènes à l'intérieur du château sont d'une beauté à couper le souffle, les extérieurs emplis d'arbres effeuillés, notamment dans les sous-bois d'automne, sont splendides. On se croirait revenu au temps de Maupassant. Un homme d'un talent considérable et à la riche carrière, que l'on retrouvera à la fois chez Jess Franco (Le diabolique docteur Z), chez Sergio Corbucci (Companeros, Le mercenaire) ou encore Lucio Fulci (Perversion Story) pour ne citer qu'eux. Il ne faudrait toutefois pas réduire le film à un exercice esthétique et visuel très réussi, qui ne saurait nullement être garant de la réussite globale d'une telle entreprise. Ils ne sont pas rares les beaux films dont on gratte le vernis pour s'apercevoir qu'on s'ennuie au spectacle dans un même temps, expulsant quelques bâillements polis, histoire de rendre hommage malgré tout à ses qualités annexes. Demoniac évite bel et bien ce piège grâce à une conjugaison de talents. Si Alberto de Martino est à l'époque un réalisateur solide, il fait preuve ici d'un sens du rythme qui ne se dément pas. Les alertes, les scènes d'effroi se conjuguent quasi scientifiquement aux scènes plus explicatives et donc plus statiques par définition. Sauf qu'en multipliant les angles, de Martino impose une dynamique en même temps que d'accroître la sensation d'un danger alentour. De fait, on reste à peu de choses près sur le qui-vive.
Les dialogues, de leur côté, complètent bien cette dynamique, car ils sont presque toujours - il y a bien quelques passages obligés d'amourette vaguement cucul la praline mais rapides – et dans le sujet du film, et dans le ton. A cet égard, on se devra de dire tout le bien qui émane d'un excellent casting, toujours plausible et complémentaire. Gérard Tichy est un grand acteur et il le prouve une fois encore ici avec une sobriété qui étonne notamment par rapport au rôle qu'il endosse. Pas étonnant que ce type ait fait une carrière d'une richesse exemplaire tant dans l'exploitation (La Corrupción de Chris Miller le giallo de Juan Antonio Bardem) que dans de grosses productions telles que "Le Cid" ou "Doctor Zhivago". Leo Anchóriz (O'Cangaçeiro) lui donne une réplique de qualité en médecin de plus en plus sceptique, tandis que les femmes s'en sortent merveilleusement bien, autant de manière inquiétante (Helga Liné est formidable en assistante menaçante mais fragile), que remplie d'effroi (Irán Eory).
Ajouté à cela une exceptionnelle musique de Carlo Franci (souvent cantonné aux seuls péplums lui aussi) et l'on obtient une oeuvre tout à fait délectable en son genre, et même à mon sens l'un des hauts du panier de l'horreur gothique. On pourra même parler de giallo gothique. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un très bon film que je ne peux que conseiller de découvrir si ce n'est déjà fait. Et mes salutations au monstre au visage brûlé vif, tapi dans ce vieux manoir, qui ne démérite pas lui non plus…
Mallox
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