Paolo (Mario Pisu) est un bandit habile et reconnu. Il est capable de préparer puis d'effectuer de gros coups qui défrayent la chronique tandis que, toujours fort d'un alibi, il échappe à la loi, ce qui lui vaut le surnom de "Maestro". Cependant, une disgrâce familiale le poursuit et le tourmente sans cesse : ses frères Franco et Ciccio, pourtant eux aussi remplis de bonne volonté dans leur objectif de maintenir haute la tradition familiale du grand banditisme. Seulement, leur inaptitude est si régulière qu'ils ne cessent invariablement de tomber entre les mains de la police. Aussi, préparant un gros coup censé être tenu secret, le "Maestro" croit les avoir neutralisés afin qu'en voulant l'aider, ils ne lui portent pas à nouveau préjudice. Il leur met dans les pattes un majordome-gardien chargé de les surveiller ainsi que deux filles ravissantes mais aussi givrées qu'eux. Toutefois, trop sûr de lui, le "Maestro" se fait prendre un dossier par ses deux débiles frangins, lesquels ne résistent jamais à la tentation d'ouvrir un coffre-fort, qu'il y ait un million de lires ou une saucisse de Francfort dedans ! C'est ainsi qu'ils tombent sur un dossier planifiant en détails l'attaque du coffre-fort de la Banque de l'Italie. Franco et Ciccio vont donc s'exercer à suivre le minutieux scénario... mais avec beaucoup d'approximations. C'est ainsi que pour faire ce coup du siècle, ils soudoient une équipe d'incapables qui, bientôt, vont se retrouver transformés en hommes-grenouilles dans les égouts passant sous la banque...
Second film en couleurs de Lucio Fulci, après I due parà où l'on retrouvait nos deux larrons transformés en G.I. parachutistes, Come svaligiammo la banca d'Italia surfe à peu de choses près sur les mêmes eaux que Colpo gobbo all'italiana, dans lequel des novices devaient remettre de l'argent dans le coffre d'une banque au lieu de le voler. Une nouvelle exploitation du "Pigeon" de Monicelli déviée cette fois-ci par l'irremplaçable (dans tous les sens du terme) duo composé par Franco et Ciccio. C'est avant tout sur eux qu'Alfonso Brescia brode son histoire, aidé de deux des indissociables de l'œuvre du réalisateur : Roberto Gianviti (Perversion Story, Liens d'amour et de sang, La longue nuit de l'exorcisme, Le venin de la peur, L'emmurée vivante...) et Amedeo Sollazzo ("002 agenti segretissimi", 002 operazione Luna, Come rubammo la bomba atomica, Il lungo, il corto, il gatto), ce dernier étant davantage un habitué des duettistes plus que notre maestro à nous, celui derrière la caméra mais aussi en charge du script. Au final, plus qu'à une trame fouillée et allant crescendo, il est plus question ici de prétexte à une succession de sketches, lesquels laissent soit libre cours aux délires de nos deux "hénaurmes" comiques, soit les mettent dans des situations les plus excentriques et délirantes possibles. Inutile de préciser que, autant dans le premier schéma tout ressort comique tombe systématiquement à plat, autant dans le second le mariage peut faire des étincelles et emmener loin le spectateur dans une folie cosmique. Finalement, à l'instar de ce qu'on avait déjà remarqué dans leurs précédentes collaborations (I due evasi di Sing Sing ou 002 operazione Luna pour les plus probants), les situations se doivent de se hausser à la démesure des invraisemblables mimiques du génial autant qu'insupportable Franco Franchi, sinon quoi le risque d'assister à une piteuse et vaine agitation guette dangereusement.
Globalement réussi, Come svaligiammo la banca d'Italia est également digne d'intérêt parce que non seulement il met parfaitement en perspective les capacités de Fulci à mettre en scène, mais il est aussi révélateur des raisons pour lesquelles il ne fut reconnu, ni du grand public hors d'Italie, ni de la critique dite sérieuse. Tout compétent qu'il soit, tout méticuleux qu'il puisse être (ici les cadres, le jeu sur les couleurs, ceux avec les miroirs annoncent déjà Perversion Story), Fulci subordonne en grande partie ses propres intérêts à ceux du duo comique qu'il s'exerce à mettre en valeur. Ainsi, quelle que soit la qualité du produit fini, ce que de façon populaire l'on retint à l'époque n'est pas si le film était un bon Fulci mais s'il était un bon Franco & Ciccio. Et lorsque ce ne fut pas le cas, Franco & Ciccio furent tant méprisés par l'intelligentsia que leur metteur en scène était à peine évoqué. C'est d'autant plus regrettable qu'il y a durant toute la décennie des sixties un faiseur-auteur manifeste derrière ces projets et leur concrétisation. Sans compter des obsessions et thématiques déjà récurrentes et que l'on croisera de façon régulière dans la carrière d'un réalisateur qui, lui-même, n'a jamais cherché à être aimable ou à s'attirer les faveurs des élites en convoquant l'élégance et le bon goût. Ni les élites, ni l'église du reste, après laquelle le réalisateur s'amuse, comme souvent dans ses films précédents, à se gausser. Aussi se retrouve-t-on avec un quatrième frère considéré comme le véritable vilain petit canard de la famille, puisqu'ayant épousé la vocation de prêtre. Evidemment, ce genre de détail relève encore ici davantage de la pique bonne-enfant que de l'attaque en règle ou d'une véritable critique de l'institution cléricale (Beatrice Cenci, Non si sevizia un paperino). Toujours est-il que Fulci creuse un certain sillon, notamment celui de l'irrévérence.
Comédie semi-parodique dans laquelle l'attente d'un hold-up est filmée comme un pré-assaut guerrier au premier degré, avec chant fraternel militaire de circonstance (une sorte d'écho de la scène où l'une des femmes de Colpo gobbo all'italiana était plongée dans une angoisse néo-réaliste avant un autre hold-up auquel son mari participait), un cambriolage comme un épisode de plongée sous-marine renvoyant James Bond aux chiottes, ainsi que rendant par moments hommage aux slapsticks d'antan, Come svaligiammo la banca d'Italia livre également sa petite morale, laquelle consisterait en ce que chacun soit l'idiot d'un autre. Un brin provocateur et scabreux, Fulci se rapproche, outre d'un Jerry Lewis (la mécanique comique ainsi que le côté parodique cinéphilique y sont semblables), très souvent de deux autres réalisateurs : Billy Wilder et Blake Edwards. A cet égard, n'oubliant pas sa cinéphilie, le réalisateur romain pioche et cligne de l'oeil aussi bien à "Certains l'aiment chaud" qu'à La panthère rose, alors qu'ailleurs il parodie "Les hommes préfèrent les blondes", allant jusqu'à élaborer un numéro chanté entre Lena von Martens et Mirella Maravidi. Aidé par une musique variée et très entrainante signée Lalo Gori, Fulci ne serait parfois bien loin d'égaler ses maîtres, si ce n'était la qualité inégale des prestations de Franco & Ciccio, dépendantes du script en amont, tout aussi inégal. Toutefois, si les mises en place des situations se font parfois laborieuses, laissant trop de place à nos vedettes, dès que la mécanique s'emballe, cela peut devenir irrésistible...
En témoigne une flopée de scènes absurdes et hilarantes poussant jusqu'à la lisière d'un surréalisme comique totalement déjanté et décomplexé. Difficile d'effacer de sa mémoire la scène où nos deux larrons s'introduisent dans les coulisses d'un concert, déguisés en Kriminal et Diabolik afin d'y voler la recette, pour finalement être pris pour des Rock Stars puis se retrouver sur scène avec un public les acclamant. Fulci n'oublie pas, en passant, de se moquer de sa propre culture pop, que ce soit par les accoutrements tout droits sortis des comics (Kriminal de Lenzi sera tourné la même année, tandis que Danger Diabolik le sera en 1968) ou la réaction d'une foule tant aveuglée qu'elle n'y verra que du feu lorsque la chanson se limitera à un mot, en plus d'un hurlement de frayeur de la part de Ciccio qui sera pris comme une attitude frénétique. Que dire également du quartet composé de bras-cassés complètement à l'Ouest, qui les accompagne dans leur casse ? Il y a d'autres moments ou situations de pur délire dans le film, mais je me contenterai d'en citer une dernière : la banque d'Italie se trouvant sur des fondations vieilles et poreuses, notre petite bande avec à leur tête Franco s'en ira en tenues d'hommes-grenouilles arpenter les égouts du paradis...
Finalement, Come svaligiammo la banca d'Italia apporte déjà la preuve d'un Fulci maître de son art. Juste après, Le temps du massacre n'en sera finalement que la confirmation. Certainement en rien la révélation d'un cinéaste riche, complet, complexe...
Mallox