Deux domestiques au service d'une vieille veuve sont contraints à considérer que son chat siamois, répondant au nom d'Archibald, est la réincarnation vivante du mari défunt (à sa décharge, celle-ci l'a trouvé un jour dans la chapelle ardente de celui-ci). Depuis, elle oblige les deux hommes, de même que Gina la boniche, à le servir ainsi qu'à l'appeler "son commandeur". L'animal a l'habitude de faire parler de lui lors de ses escapades. La légende de la réincarnation du félin est devenue tant célèbre que lors de ses escapades, et alors que Franco et Ciccio le cherchent sous peine d'être congédiés par la mégère furieuse, les vendeurs ont une légère tendance à lui mettre quelques dégâts sur le dos pour faire payer la casse aux deux valets. La donne change totalement pour nos deux larbins le jour où la comtesse trouve une portée dont son chat serait le père. N'en croyant pas ses yeux que son mari ait pu la tromper avec une autre chatte, elle tombe raide morte.
A la lecture du testament, Franco et Ciccio apprennent qu'ils vont hériter d'une grande partie de sa fortune, à la seule et unique condition qu'ils prennent soin de sa majesté le chat. Ils toucheront alors chacun une rente de un million de lires par mois. En revanche, s'il arrivait malheur au matou, les versements cesseraient. Peu après, nos deux larrons ont l'idée géniale de refiler Archibald et de le substituer par un autre chat pour feinter le notaire. Manque de bol, celui-ci dispose d'un dossier complet, agrémenté de diapositives et de tous les signalements possibles et inimaginables. La course pour retrouver Archibald s'engage alors !
Moins que sur ce dernier, c'est surtout sur une énorme équivoque que tombent les deux hommes. En effet, l'animal qu'ils traquent porte le même pseudonyme qu'un criminel recherché par le F.B.I. : un criminel en train de fomenter un assassinat contre un chef d'Etat en visite à Rome. Ce dernier est protégé par le F.B.I. dans sa propre ambassade jusqu'à ce que "son commandeur" y pénètre, en grimpant de nuit par dessus le mur. C'est en tentant de le rattraper que les deux domestiques se font prendre. De quiproquo en quiproquo, les policiers finissent par croire que Franco et Ciccio ont un rapport avec le criminel, que d'ailleurs nos lascars "prétendent" chercher. On les accoutre donc de micro-espions avant de les relâcher. Dès lors, tous ceux qui connaissent "le chat" se font arrêter, sont questionnés, puis soupçonnés d'appartenir à l'organisation guidant le tueur à gages homonyme, lequel rentre alors réellement en jeu...
Empruntant, pour quelques situations ainsi que pour une atmosphère, au Chat noir de Poe, et ce bien avant son Chat noir de 1981, il s'agit de la dernière collaboration entre Lucio Fulci et nos deux acolytes, maîtres es pitreries et grimaces grotesques. Autant le dire d'emblée, il s'agit aussi d'une de leurs meilleures. Délestés des bavardages jusque là obligés entre les deux zouaves, qui trop souvent plombaient des bobines par ailleurs inventives et vivaces (I due evasi di Sing Sing, Come inguaiammo l'esercito, Come svaligiammo la banca d'Italia, 002 Opération Lune, Come rubammo la bomba atomica), Il lungo, il corto, il gatto fait place au comique de situations - parfois saupoudré de running gags - lesquelles s'enchaînent ici à vive allure. Comme à l'usuel, le ton est ironique, assez irrévérencieux, et pratique régulièrement la parodie des genres pour atteindre son but. Le résultat est ici autant maitrisé qu'affuté, solidement charpenté, et il sera difficile de trouver un artisan ayant su utiliser avec grâce, et un sens de la dérision, le potentiel comique a priori très restreint de Franco et Ciccio. La mise en scène est élégante, les cadres élaborés, l'histoire anecdotique mais fluide et remplie de ramifications qui en font sa saveur. Comme dans son Young Dracula à venir, Fulci distille (de façon également parodique ici) de la démystification à tout va, censée démontrer l'inconsistance des fausses gloires de son temps, des faux mythes, tout en se gaussant une fois de plus des institutions puis de sa propre culture. Les militaires sont couards, les politiciens fourbes et paranoïaques, les nobles hautains, les policiers un brin crétins. La question reste posée : le pouvoir est peut-être entre les mains de gens pas plus futés que nos deux Siciliens, ni même qu'un simple chat. Si l'égratignure reste néanmoins superficielle (Béatrice Cenci arrive à grands pas), elle n'en demeure pas moins une constante chez le réalisateur, tout comme l'espoir qu'il porte à l'écran dans une lutte des classes qui chamboulerait la donne.
Il Lungo, il corto, il gatto, dont le titre emprunte alors au récent hit de Sergio Léone, demeure une comédie avant tout extrêmement distrayante en plus d'être flatteuse pour les sens. Une scène de dîner mondain tourne carrément au jeu de massacre, voyant Ciccio aller et venir entre la tables des convives et la cuisine ; une comtesse tyrannique (excellente Giusi Raspani Dandolo) et haute en couleurs qui finit médusée devant un panier de chatons ; une bombe rondelette qu'un Franco ligoté tente d'éloigner de lui en soufflant dessus ; des gens inoffensifs constamment espionnés ; un assassin aguerri, dandy de pacotille qui devient le dindon de la farce ; et surtout un paquet de dommages collatéraux qui pimentent des aventures déjà pas mal épicées, ce au rythme d'un emballant leitmotiv musical signé Coriolano Gori (pas moins de quatre Franco, Ciccio et Lucio ainsi que Le temps du massacre).
Superbement photographié par Guglielmo Mancori, avec lequel il avait déjà travaillé à ses débuts (Les faux jetons, Uno strano tipo) et maître lui aussi des ambiances fumetti baignées de culture pop, Il Lungo, il corto, il gatto n'oublie pas de soigner ses seconds rôles et offre ainsi une galerie de personnages assez délectable. Outre la bien jolie Ivy Holzer qui s'en ira ensuite rejoindre Edwige Fenech pour Samoa, fille sauvage et qui, en attendant, pratique la lutte ouvrière aux côtés de nos deux écervelés Siciliens, on remarque facilement la très rare Julie Menard, déjà présente l'année d'avant dans Come rubammo la bomba atomica, ainsi que l'excellent Daniele Vargas dans le rôle de l'inspecteur de police, lequel joue son rôle avec un sérieux imperturbable. Pourtant, ce sont les deux chats du film qui remportent également une place sur le podium : le premier, avec un naturel confondant, aime à jouer avec les bombes et les clés de voitures, tandis que le second évolue à l'instar des espions d'opérettes présents dans Come rubammo la bomba atomica avec la vanité de celui qui se croit invincible, avant de se faire avoir par son homonyme félin.
Finalement Il Lungo, il corto, il gatto est le témoignage flagrant de la solidité de son réalisateur dans le registre de la comédie, genre qu'il a peu à peu peaufiné jusqu'à parfaitement le maîtriser. Il est aussi le témoin d'un état d'esprit bien trop répandu : celui qui consiste à considérer systématiquement comme mineure la comédie, tandis qu'à l'aune du sérieux on se prosterne de façon outrancière sur des oeuvres plus graves ou austères. A ce titre, signalons que cette comédie possède déjà la grâce qu'on retrouvera pour le générique du Chat noir en 1981 ; à la différence que celle-ci reste ici à l'écran après le générique et ce 85 minutes durant. Au petit jeu des comparaisons, on constate également que la structure ici présente sera reprise plus tard par Fulci dans ses réussites horrifiques telles L'Au-delà, tout comme une scène d'enterrement annonce Frayeurs.
Coïncidence ou pas, il y a également dans Il lungo, il corto, il gatto un ton qui ressemble par moments à une balade tournant à la guerre lasse. Un petit peu comme le fera plus tard Sergio Corbucci avec Mais qu'est ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? et sa trilogie de la révolution. A cet égard, la musique de Lalo Gori joue une fois de plus un rôle primordial, comme si Lucio Fulci ironisait sur la sempiternelle mécanique comique de Franco et Ciccio avant de leur faire ses adieux. Ce sera chose faite l'année suivante. Après avoir parfaitement utilisé la vitalité d'Adriano Celentano (Urlatori alla sbarra, Un type étrange,...), puis phagocyté l'énergie mongoloïde de Franco et Ciccio, il emploiera de nouveau avec talent un comique de seconde zone en la personne de Lando Buzzanca, ce avec trois films : Au diable les anges (Operazione San Pietro) la même année, puis Obsédé malgré lui et Il Cavalieri Costante Nicosia demoniaco ovvero Dracula in Brianza, pour lequel il retrouvera le sous-estimé et tout compte fait très attachant Ciccio Ingrassia. Quoi qu'il en soit, Fulci se montre manifestement prêt à livrer son meilleur travail avec notamment Béatrice Cenci, qui lui vaudra l'incompréhension, puis trois superbes gialli, Perversion Story, Le venin de la peur, et peut-être ce qui reste son meilleur film ou tout du moins le plus symptomatique de son oeuvre : La longue nuit de l'exorcisme.
Mallox