Voici trois ans que le roi Arald (Giacomo Rossi-Stuart) a quitté son village menacé de famine. Avec quelques uns de ses hommes, il a pris la mer dans le but de ramener du blé. Plus tard, des rumeurs prétendent que son drakkar s'est échoué au bord des côtes bretonnes, et que l'équipage s'est noyé. Karin, l'épouse d'Arald, refuse de croire à sa mort, et un jour elle va consulter l'augure. La vieille femme l'avertit qu'elle et son fils Moki courent un grave danger, et que tous deux doivent quitter le village et partir se cacher le plus loin possible.
En effet, le cruel Aghen (Fausto Tozzi) revient dans le village où il fut autrefois banni par le Roi, le père d'Arald. Aghen est un être perfide et sanguinaire, qui s'est livré ces dernières années à des pillages et des tueries avec l'aide de ses hommes sans scrupules. Attiré par Karin, il est bien décidé à l'épouser de force et devenir le nouveau Roi. Mais ses projets vont être contrariés par l'arrivée d'un étranger dans les environs. Qui plus est, cet homme, Ator (Cameron Mitchell), est venu pour le tuer…
Cinq ans après "La ruée des Vikings", Mario Bava décide de tourner un nouveau film de vikings, et pour cela il parvient sans grand problème à rappeler Cameron Mitchell, son acteur fétiche, qui était pourtant reparti aux Etats-Unis. Ce dernier avait d'ailleurs également joué les vikings (arborant déjà une coiffure blonde d'un goût douteux) en cette année 1961, dans "Le dernier des Vikings", commencé par Giacomo Gentilomo, et achevé par... Mario Bava !
Le cinéaste italien avait sans aucun doute été impressionné par "Les Vikings", oeuvre phare de Richard Fleischer, réalisée en 1958. Il rempile donc pour ce film d'aventures présentant quelques similitudes avec le western, ce qui explique pourquoi certains spécialistes estimèrent que "Duel au couteau" ressemblait aussi, en certains points, à "L'Homme des vallées perdues" (de George Stevens, avec Alan Ladd et Jack Palance). Et, tout comme le western (spaghetti, surtout) utilise les ressorts de la tragédie grecque, Mario Bava va également s'en inspirer pour puiser sa trame.
Un étranger à la recherche de l'homme qui tua sa femme et son enfant ; une femme qui fuit cet assassin voulant l'épouser, alors qu'elle espère toujours le retour de son mari, telle une Pénélope ; un Roi présumé mort revenant parmi les siens, et reconnaissant dans le sauveur de sa femme et de son fils celui qui tua autrefois son père... Pas de doute, on pourrait se croire plongé dans un roman d'Homère. A cela, le cinéaste intègre quelques éléments du far ouest, telle la taverne évoquant l'ambiance des saloons, ou encore le duel au couteau opposant Ator et Aghen dans ce même cadre. Enfin, la musique elle aussi prend à certains moments des accents de western. Cette partition musicale est due à Marcello Giombini. Moins connu que les Morricone, Nicolai, Cipriani, Ortolani et consorts, Giombini a pourtant une riche carrière de compositeur derrière lui, et il a oeuvré dans tous les styles ou presque du cinéma de genre : westerns spaghetti (les deux "Sabata" avec Lee Van Cleef), gialli ("Knife of Ice", "The Flower with Petals of Steel"), films d'horreur ("La possédée", "Anthropophagous"), WIP ("Les évadées du camp d'amour" et sa fausse suite); et même des films érotiques ("Beast in Space", "La nuit fantastique des morts-vivants") pour lesquels il utilise le pseudonyme de Pluto Kennedy.
On peut le dire : la bande originale de "Duel au couteau" est une réussite, tout comme l'est son casting et sa photographie. Le cinéaste sait cadrer ses décors et les exploiter au maximum, que ce soit en extérieur ou en studio. Il sait aussi diriger parfaitement ses acteurs, offrant un rôle superbe à Cameron Mitchell, pour qui le cinéma fut quasiment toute sa vie. Cameron Mitchell, en effet, laisse une filmographie échelonnée sur près de cinq décennies, allant de "Six femmes pour l'assassin" à "Baron Vampire" (celui de Mel Welles), en passant par "La foreuse sanglante" ou encore "Cataclysm". Il a ici pour partenaires Fausto Tozzi ("La fureur d'un flic", "Les amazones") et Giacomo Rossi- Stuart ("Caltiki, le monstre immortel", "Opération Peur", "L'appel de la chair"). Dans ce film d'hommes, Elissa Pichelli, dans le rôle de Karin, parvient à tirer son épingle du jeu, et se montre très convaincante. Il est à regretter que son talent et sa plastique de "valkyrie" se limitent à ce seul film.
En fait, le bât blesse uniquement sur un point, hélas important, celui de la réalisation. En gros, le film est composé de deux parties. La première installe chacun des protagonistes, et Mario Bava prend soin de les présenter suffisamment pour leur donner de la consistance et de la profondeur. En deux occasions, le metteur en scène utilise des flashbacks fort à propos. Les liens qui se tissent entre Ator, Karin et Moki sont bien rendus et créent une réelle empathie avec le spectateur. La part de mystère, essentiellement centrée sur les origines d'Ator (car, par ailleurs, on se doute qu'Arald n'est pas mort), est l'un des points forts de l'intrigue.
Mais, dès lors que le mystère est levé, que l'on connaît le passé et les motivations de l'étranger, et que l'on passe à la seconde partie (la vengeance), tout bascule. On est alors à peine à la moitié du film, et "Duel au couteau" va se limiter essentiellement à un affrontement en plusieurs temps entre Aghen et ses hommes d'un côté, Ator de l'autre.
Un duel entrecoupé par le retour attendu d'Arald, mais qui n'empêche pas cette seconde partie de traîner en longueurs, l'exemple le plus marquant étant le combat se transformant en jeu de cache-cache dans la taverne, impliquant les deux rivaux, beaucoup trop long, et manquant cruellement de rythme. Quant à la fin, elle est fidèle aux prédictions de l'augure, ôtant tout suspense. Reste à savoir quelle sera la destinée d'Ator, mais là encore l'emprunt au western se fera ressentir : le héros/étranger, arrivant seul au début du film, repart généralement seul à la fin de celui-ci. Malgré tout, si l'on peut regretter ce déséquilibre dans le scénario et la structure narrative, "Duel au couteau" n'en reste pas moins un bon film d'aventure, porté par un souffle épique malgré la restriction de son budget. Cela, une fois encore, grâce au savoir faire de Mario Bava.
Note : 7/10
Flint
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