Mes mains sur ton corps
Titre original: Le tue mani sul mio corpo
Genre: Giallo , Thriller , Drame
Année: 1970
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Brunello Rondi
Casting:
Lino Capolicchio, Colette Descombes, Erna Schurer, José Quaglio, Daniël Sola, Pier Paola Bucchi, Anne Marie Braafheid, Irene Aloisi...
Aka: Your Hands on my Body / Obsessão Mortal (Brésil)
 

Andrea (Lino Capolicchio) est un jeune homme névrosé. Il souffre d'un traumatisme et d'un deuil jamais effectué depuis le suicide de sa mère lors de son enfance. Il vit aujourd'hui dans l'immense villa de son père (José Quaglio) et serait totalement oisif s'il ne nourrissait pas un intérêt tout particulier pour les femmes, girondes tant qu'à faire. Il est d'ailleurs sexuellement attiré par Mireille, sa jeune belle-mère (Erna Schurer) mais voilà qu'il fait la connaissance de la jeune et jolie Carole (Colette Descombes) qui ne le laisse pas non plus indifférent. Carole ne tarde pas à s'immiscer dans sa vie et dans son esprit car, très attirée par lui et bien qu'elle ait déjà un petit-ami (Daniël Sola), elle tente de le séduire. Dès lors tiraillé, Andrea va voir ses vieux démons refaire surface...



Décidément, à creuser son parcours, et plus avant, son œuvre, Brunello Rondi est un cinéaste italien méconnu et très sous-estimé, encore à ce jour.
Acteur, scénariste et donc metteur en scène, Rondi fait ses débuts en 1947 en étant à la fois coscénariste et assistant réalisateur sur "Ultimo amore" réalisé par Luigi Chiarini. S'ensuit une longue collaboration avec Federico Fellini pour lequel il cosigne les scénarios de pas moins de sept films, tous considérés comme des classiques à ce jour ("La dolce vita", "Huit et demi" ou "Satyricon" pour n'en citer que trois). Il écrit ensuite pour Roberto Rossellini ("Les Évadés de la nuit", 1960), adapte Pier Paolo Pasolini ("Une vie violente", 1962), puis imagine l'histoire de "Le Temps des amants" (1968) de Vittorio De Sica. Dès lors il n'est pas étonnant, à le redécouvrir, de trouver dans sa filmographie les stigmates obsessionnels de ces grands noms : Le Démon dans la chair (Il demonio, 1962) doit beaucoup au néo-réalisme de Rosselini (le mouvement s'est très largement constitué autour de lui et de ses films) tandis qu'il n'est pas surprenant non plus de trouver dans Ingrid sulla strada tout à la fois un portrait de Rome, si chère à Fellini, et un contexte et surtout des considérations similaires à celles de Pasolini dont l'adaptation de son roman, "Une vie violente" est le manifeste. On peut aussi en déduire, vu son travail en amont, que certains films de Fellini, ou bien encore ceux cités de Rosselini et de De Sica lui doivent une part de sa personnalité, en tout cas plus qu'on ne l'imagine.



La carrière de Brunello Rondi est composée de 13 films étalés sur une vingtaine d'années, entre 1962 et 1982. Il décédera à Rome en 1989.
Concernant Le tue mani sul mio corpo (sorti en France sous le titre un peu absurde Mes mains sur ton corps au lieu de respecter la traduction littérale qui aurait voulu que le film s'appelle Tes mains sur mon corps), il s'agit d'un giallo (ou pas loin - je le précise afin de ne pas heurter les puristes et pour éviter les débats stériles), lui aussi resté sur le carreau, encore méconnu à ce jour, même des amateurs du genre. Outre Brunello Rondi, Luciano Martino et Francesco Scardamaglia étaient responsables du scénario. En somme, la présence d'artistes de talent semblait garante d'une intrigue intéressante, voire palpitante. Scardamaglia avait déjà plusieurs scripts de qualité à son actif et sa carrière ne faisait que prendre de l'ampleur ("Le Retour des Titans", Le Moment de tuer, "Django porte sa croix", "Tuez-les tous... et revenez seul !"). Idem et plus encore concernant l'excellent Luciano Martino, lui-même réalisateur, scénariste et producteur que les amateurs de giallo connaissent parfaitement, d'autant que son frangin Sergio sévira à plusieurs reprises dans le genre pour le plus grand plaisir de ces mêmes amateurs. Un Luciano Martino qui avait déjà produit "Le Démon dans la chair" du même Rondi mais aussi "L'Adorable corps de Deborah" de Romolo Guerrieri et "Si douces, si perverses" d'Umberto Lenzi, en plus d'avoir collaboré au scénario des Nuits de l'épouvante, réalisé par Elio Scardamaglia, le papa de Francesco.



Pour Mes mains sur ton corps, le choix de Rondi fut d'embaucher des acteurs dotés d'une expérience relativement modeste, voire modestement connus. Un choix plutôt noble, censé faciliter le processus d'identification sans voir sa bobine vampirisée par de plus grands noms.
Certes, Erna Schurer venait de tourner La bambola di Satana et Le Monstre du château (on la reverra notamment dans Nue pour l'assassin ou "Les Déportées de la section spéciale SS") après avoir fait ses débuts en 1960, sous la houlette de Damiano Damiani pour "Il rossetto". Après celui-ci, elle tournera encore trois films avec Brunello Rondi : "Valeria dentro e fuori" (un drame de 1972 avec Barbara Bouchet sur fond de frustration sexuelle), "Tecnica di un amore" en 1973, aux côtés de Janet Agren et Silvano Tranquilli, puis "Prison spéciale" (Prigione di donne, 1974) partageant alors la même cellule que Martine Brochard et Marilù Tolo.
C'est l'actrice française Colette Descombes qui endosse le rôle de Carole. Cette dernière a commencé sa carrière en 1961, avec "Les Nymphettes" de Henri Zaphiratos et, le monde du cinéma étant petit, lorsqu'elle tourne pour Brunello Rondi, elle sort tout juste du tournage d'Une folle envie d'aimer d'Umberto Lenzi.
Quant au rôle principal, il échoit à Lino Capolicchio, révélé deux ans avant dans "Escalation" (1968) et déjà bien en vue dans Disons, un soir à dîner (1969), peu avant sa présence dans "Le Jardin des Finzi-Contini" (1970) de Vittorio De Sica. Bien que la principale caractéristique de l'acteur soit d'avoir joué dans pas moins de neuf films réalisés par Pupi Avati, dont le désormais classique La Maison aux fenêtres qui rient, nombreux sont ceux qui se souviennent de lui comme étant l'acteur de Terreur sur la lagune... Sa prestation ici est brillante, comme celle des deux actrices évoquées juste avant, et ne dément pas son talent.
Au niveau du casting encore, il convient de noter également la présence (toujours parfaite) de José Quaglio, laquelle assied les ambitions "auteurisantes" de Brunello Rondi. Certes, on reverra le sieur Quaglio entre autres chez Lucio Fulci (Obsédé malgré lui), Ugo Liberatore (Nero Veneziano) ou Aldo Lado (Qui l'a vue mourir ?, "L'Humanoïde") mais, à cette époque, il vient surtout de jouer dans "Le Conformiste", le chef-d'œuvre de Bernardo Bertolucci, un réalisateur qu'il retrouvera d'ailleurs pour l'inégale mais passionnante fresque "1900" (Novencento) avec, entre ces deux phares cinématographiques, des détours dans des productions a priori plus modestes comme "Mondo candido" de Jacopetti et Prosperi. Dans Le tue mani sul mio corpo, il endosse le rôle du père d'Andrea, un père un brin spécial, soit dit en passant...



Le tue mani sul mio corpo fait partie de ces bobines à demi giallesques qui pratiquent l'exploration de psychés pour le moins tourmentées, régulièrement hantées par le passé, tout en se voulant livrer une étude de mœurs, simulant la prise d'un instantané, celui de toute une époque, via un personnage catalyseur. Il évolue du coup dans deux sphères qui se croisent : l'une où l'on trouverait par exemple L'Adorable corps de Deborah et une autre qui renfermerait des pellicules telles que "La donna del lago" de Luigi Bazzoni, Salvare la faccia de Rossano Brazzi et, plus tard, des films tels que Le Parfum de la dame en noir. Il est bâti comme une déambulation mélancolique mais ludique, et l'on trouve, parmi les jeux manipulateurs et pervers pratiqués par ou sur ses personnages, des scènes de sadomasochisme où un rapport lesbien se voit pimenté de cire de bougie toute brûlante, étalée sur des corps qui en deviennent extatiques. Il s'agit d'illustrer alors des moments de "trompe l'ennui" et même de "trompe-la-mort", bref, de fuite en avant vis à vis de traumas anciens mais assez souvent aussi d'un ennui prégnant au présent. Bien qu'ils ne soient pas aussi explicites ou émancipés que le tout-venant du psycho killer, il va de soi que ces actes ne sont pas sans conséquences.

Le tue mani sul mio corpo bénéficie également du talent d'Alessandro D'Eva, en charge de la photographie (les copies actuellement disponibles, passablement délavées, ne lui rendent toutefois pas hommage), ainsi que d'une très bonne partition de Giorgio Gaslini, mais le constat que l'on fait à sa découverte peut receler un goût amer... À additionner les talents, l'on pouvait attendre beaucoup de cet opus dramatique en forme de thriller jaune, réalisé par le talentueux réalisateur du Démon dans la chair, de "Une vie violente" et de Ingrid sulla strada.



Hélas, si l'ensemble n'est pas ennuyant à proprement parler (il se laisse voir grâce à sa patine acquise au fil des années) et dans la mesure où l'on ne peut reprocher à Rondi de choisir l'introspection et l'intime (ou l'intimisme) aux dépends de l'action, l'histoire s'articule uniquement, et sans jamais se démentir, autour d'Andrea, un jeune homme qui semble n'avoir aucun but dans la vie. Le problème finalement est que cette absence de but nous échappe au point de tuer à la fois toute empathie pour son personnage et toute identification avec lui. Il ne possède pas non plus d'aura particulière, propre à une entité christique ou fantastique. Entendons-nous bien, l'oisiveté bourgeoise est une constante dans le giallo à tendance machination, ce serait donc un mauvais procès à faire que de reprocher au réalisateur et à ses scénaristes de surfer sur une mouvance qui tient alors carrément du phénomène social, tout comme on ne peut reprocher à Mes mains sur ton corps d'être dépourvu de violence et de sang. En revanche, et là se posent les limites du film, il semble se regarder un peu trop dans la glace, adoptant une attitude nonchalante et désinvolte au point de frôler le mépris envers le spectateur. Pour que le rythme, d'une lenteur un brin excessive, eût une chance de passer, sur le mode lancinant de l'obsession par exemple, il aurait fallu enrichir les caractères, notamment celui d'Andrea ci-présent...

 

Malheureusement, ce n'est pas le cas et, malgré la présence d'une psyché plus torturée qu'elle n'y paraît de prime abord, ainsi que d'intentions qui se révèlent plus machiavéliques qu'on n'était censé l'imaginer, Le tue mani sul mio corpo semble superficiel et dénué d'enjeu.

Pour finir par là où l'on avait commencé, le cinéma comme tout art possède une part d'influences et de reprises. Si Lucio Fulci était par exemple venu puiser dans Il Demonio pour sa Longue nuit de l'exorcisme (et plus précisément encore pour le personnage de Florinda Bolkan qui s'inspirait fortement de celui de Daliah Lavi), Brunello Rondi puise à son tour dans l'univers d'autrui : chez Pier Paolo Pasolini en premier lieu, puisque, à l'instar de Ingrid sulla strada qu'il réalisera en 1973 et pour lequel il reprendra l'intrigue de "Macadam Cowboy" pour la faire tourner à la sauce romaine proche du traitement pasolinien de "Mama Roma", Le tue mani sul mio corpo reprend, dès 1970, soit deux ans après son modèle, la trame de "Théorème". Cette fois-ci, l'énigmatique attraction n'est plus masculine, mais féminine. Comme dans le classique de Pasolini, c'est par l'arrivée au sein d'une famille bourgeoise d'une personne entretenant des rapports sexuels avec chacun des membres, que cette cellule familiale va imploser. Disons que Brunello Rondi rajoute dans cette même cellule, un personnage exagérément fissuré dont il fait le centre de son histoire en inversant les données. Andrea est l'antithèse même du "visiteur" Terence Stamp (remplacé ici par Carole), ce qui confère du coup à son film des allures de thrillers manipulateurs, naviguant en eaux troubles, non loin de certains films de Claude Chabrol. Quoi qu'il en soit et malgré la relative faiblesse de celui-ci, coincé entre Le Démon dans la chair, "Valeria dentro e fuori" et Ingrid sulla strada, il semble exister une véritable constante thématique dans le cinéma de Brunello Rondi que l'on pourrait résumer par "la face obscure du plaisir charnel"...

 

Mallox

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