Salvare la faccia
Genre: Giallo , Thriller , Drame , Psycho-Killer
Année: 1969
Pays d'origine: Italie / Argentine
Réalisateur: Rossano Brazzi (Sous le pseudo d'Edward Ross)
Casting:
Adrienne La Russa, Rossano Brazzi, Nino Castelnuovo, Paola Pitagora, Alberto de Mendoza...
Aka: Psychout for Murder / Daddy Said the World Was Lovely / (
 

Licia Brignoli (Adrienne Larussa) est surprise dans un bordel avec son petit ami (Nino Castelnuovo). Un petit ami hélas plutôt malveillant puisqu'il a lui-même organisé la situation pour ensuite exercer un chantage sur Marco Brignoli, père de la jeune fille et riche industriel (Rossano Brazzi). Le père, quant à lui, est complètement dépassé par ce scandale inattendu, au point qu'il craint, qu'outre sa renommée, son immense entreprise en fasse les frais. Mais sa secrétaire (Idelma Carlo) trouve une solution : faire en sorte que son patron suscite de l'empathie plutôt que de se retrouver lié à une histoire sordide, et donc forcément un peu... coupable ! Pour cela, il suffit d'une seule chose : prouver que sa fille est mentalement instable puis de la faire interner. Après moult tergiversations et discussions, même auprès des instances religieuses pour le moins complaisantes, voilà donc Licia, "dont le seul crime est d'être allée au lit avec un homme" (sic) qui se retrouve internée dans un hôpital psychiatrique. Tout a été prévu, calculé, pour que le puissant industriel gagne plus qu'il n'y perde. Finalement, seule Giovanna (Paola Pitagora), mariée à Francesco (Alberto de Mendoza), homme d'affaire aux dents longues occupé à protéger son mécène, a pris le parti de Licia, arguant en vain qu'elle était plus importante que l'usine...
Cependant, Licia sort quelque temps après et donne libre cours à sa vengeance... autant dire que sous ses airs naïfs, ça va chier des bulles de piscine chez les notables !

 

 

"L'attitude de votre fille atteste d'une maladie et tout moyen moral et matériel pour la remettre sur le droit chemin ne peut que lui être bénéfique !". Vous trouvez cette phrase lourdement et honteusement anticléricale ? À l'heure où nous laissons faire n'importe quoi sous prétexte de tolérance, une tolérance envers l'intolérance et, pour le moins, celui du droit des femmes à disposer d'elles-mêmes, il est bon de rappeler que, sans appartenir à aucune chapelle particulière, certains se sont déjà battus contre ces abus. Ce n'est certainement pas pour les voir renaître aujourd'hui sous d'autres visages. Bref...
Malgré ce détour lyrique tout à fait personnel mais cependant toujours à propos de religion, l'une des premières choses qui frappent concernant Salvare la faccia, c'est la présence de Adrienne La Russa. Et pour cause, vu que sa présence dans Salvare la faccia précède de peu son rôle de Beatrice Cenci dans Liens d'amour et de sang de Lucio Fulci, il est tentant de penser que ce rôle a généré le second. Non pas que Salvare la faccia s'en prenne à l'institution catholique à tout va, ou encore à sa séparation avec l'état (encore que pour le coup le rapprochement entre les affaires et le Vatican devance de loin "Le Parrain 3" de Coppola). Il s'agit avant tout d'un drame, cachant sous ses aspects tout faits de manipulation et de vengeance, "toutes les couleurs de la nuit" ! Notamment celle du pur thriller, à dominante jaune. Quant à l'institution en question dans ce court paragraphe, même si elle plane comme une valeur morale au-dessus de la bobine telle une hypocrisie oppressive et omniprésente, une scène parle d'elle-même à ce sujet, autant que sur la récupération des idéaux : un concert pop où s'éclatent ensemble l'ecclésiastique et l'industriel.

 

Il y est également question de liberté des mœurs mais aussi - thème on ne peut plus d'actualité - du droit des femmes ("Je ne suis pas la première femme à aller au lit avec un homme. Alors, où est le mal ?!" s'exclame Licia Brignoli dès la première bobine. Mais, et cela peut être également assimilé à des valeurs religieuses, la richesse et le pouvoir doivent être préservés. Finalement, la seule morale à tirer de Salvare la faccia est que l'unique tort de Licia est d'être la fille d'un magnat dont l'image ne peut en aucun cas être égratignée. Mais outre ses aspects sociaux, sociétaux, voire carrément ses prises de parti, l'incroyable réussite de Salvare la faccia est de parvenir à mélanger vision et thématique avec une intrigue criminelle allant crescendo. Finalement, à sa vision, on pense davantage à certains films d'Elio Petri ("La Dixième Victime", "À chacun son dû" et même Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon) qu'aux gialli-Riviera que tourne un certain Umberto Lenzi à la même époque. Certes, la bourgeoisie en prend - une fois de plus - pour son grade et se cache sous le vernis des apparences (le titre français littéral : Sauver les apparences parle de lui-même), mais Salvare la faccia possède quelque chose d'excitant, de plus mordant et, tout compte fait, de plus vif en plus d'être délesté des codes ayant cours à l'époque pour des résultats trop souvent monotones. À ce sujet encore, il y a une dimension espiègle dans Sauver les apparences qui fait également son originalité.

 

 

Salvare la faccia est savamment cadré (certains plans renvoient aux split-screens de Perversion Story, tourné la même année), ses travellings sont extrêmement élégants sans jamais être gratuits, il possède un rythme et une dynamique finalement assez peu fréquente à une époque où le genre giallo ne s'est pas encore complètement émancipé. Cet opus qui tend peu à peu à la psychose doit beaucoup à ses techniciens : la photographie est magnifique et épouse les contours de la confusion grandissante de l'héroïne, la partition signée Benedetto Ghiglia est au "diapason" (sans jeu de mots) et, somme toute, la direction artistique due au duo Francesco Della Noce et Giovanni Fratalocchi atteint une harmonie presque parfaite. Certes, il y a ici et là quelques découpages qui peuvent paraître tenir de l'afféterie : les plans brusques et alternés peuvent paraître un peu trop systématiques de prime abord, mais ils s'inscrivent dans une logique esthétique dans laquelle les flashbacks de Licia la renvoient à l'enfance et, par extension, à une vie candide, celle d'avant d'être "abusée" (physiquement autant que psychologiquement). Quoi qu'il en soit le style, très Pop, ne nuit en aucun cas à cette "histoire d'une trahison" dans laquelle belle-maman est elle aussi une sacrée salope, spéculant sur les millions du sieur Brignoli, le conseillant même sur une filiale et la construction d'une autoroute censée faire flamber les prix des terrains la bordant, propriétés comprises.

 

En tout cas, la réussite du film tient dans la façon d'appréhender la psyché du personnage principal, principe si cher au genre giallesque. Un personnage sans aspérité particulière y devient quelqu'un de torturé, d'habité, mais qui finit par jubiler de ses exactions. Comme souvent dans le giallo, la vengeance vient d'un trauma, d'une injustice, à la différence qu'ici, on en voit les ressorts sans que cela nuise à l'intrigue. On pourrait presque parler de "rape psychologique & revenge". Ce qui était latent chez Hitchcock et ses ersatz se voit illustré ici... de bien belle manière !
La vengeance de Licia débute comme un jeu espiègle puisqu'elle ne fait que tendre des pièges en fixant des fils à ras le sol mais elle passe un stade au dessus en plongeant la prise du barbecue électrique dans la piscine où Francesco (Alberto de Mendoza) se baigne. Encore que pour le coup, elle décide de ne pas donner la mort mais semble prévenir...

 

 

Rossano Brazzi, réalisateur de la chose, fut un grand acteur avec, à son actif, une filmographie comptant plus de 150 films, et pas des moindres, puisqu'on y trouve à peu près tous les genres. Une carrière qui débute peu avant la seconde Guerre mondiale au cours de laquelle il campera des noms, de l'Histoire ou de la littérature (François Ier, Julien Sorel, Cesare Borgia, Lucien Bonaparte, Dr. Frankenstein, ...) et croisera des acteurs et des réalisateurs de grand talent (Joseph L. Mankiewicz dans "La Comtesse aux pieds nus", David Lean dans "Vacances à Venise", Henry Hathaway dans "La Cité disparue", etc.). Il fut également considéré comme un séducteur, mais ce qu'on oublie le plus souvent à son sujet, c'est qu'il a réalisé trois films, certes avec plus ou moins de bonheur, mais tous trois très personnels, Brazzi s'impliquant chaque fois au niveau du scénario et de la production. "Il Natale che quasi non fu" en 1966, une comédie fantaisiste familiale se déroulant durant Noël mais qui passa pour ridicule, "7 uomini e un cervello" ("Criminal Affair" aux USA), une comédie criminelle mettant en scène Ann-Margret, à peine mieux reçu à l'époque que le précédent (le mélange étant jugé de mauvais goût), et ce Salvare la faccia, qui jouit, en tout cas à ce jour, d'une estime plus importante, mais qui semble jouer à cache-cache et être voué à rester relégué aux oubliettes !

 

Une erreur de taille car Salvare la faccia est une réussite trop rarement évoquée. Salvare la faccia a de nombreuses qualités mais aussi de nombreux mérites. Non seulement il offre un magnifique portrait de femme dont la fragilité est mise à l'épreuve, l'emmenant malgré elle, dans des sentiers assassins, mais il parvient à conjuguer, avec un équilibre rare, plusieurs pendants de l'époque. Ainsi, dans Salvare la faccia, se côtoient le drame pamphlétaire évoluant sur les sentiers d'un Damiano Damiani, il se fait le portrait d'une époque patriarcale où la morale n'était qu'une pure duperie, il dresse un somptueux portrait de femme qui, lasse d'être l'instrument puis la victime d'enjeux qui la dépassent, va remettre les choses à leur (juste) place, et, qui plus est, se permet de mettre en scène cette sorte de pièce de théâtre meurtrière où le thriller n'est qu'un apparat pour une vengeance qui finit par ressembler à une prise de conscience puis à une jouissance. Inutile de préciser - encore que - cette jouissance est le fruit de son auteur qui, en 1969, n'avait pourtant plus rien à prouver. Cette prise de risque (son échec) est également à mettre à son actif. Rien n'obligeait Brazzi à faire oeuvre(s) si personnelles à l'époque ! Toujours est-il qu'il offre un rôle exceptionnel à Adrienne La Russa ! Chaque moue qui précède l'une de ses vengeances est délectable à un tel point que ces scènes en deviennent jubilatoires, en plus d’être sensuelles ! Le lyrisme de la crédulité ont laissé place au froid calcul, tout comme ses bourreaux.

 

Bien entendu, on peut aisément remplir et évoquer les carrières des uns et des autres : on a déjà abordé l'immense carrière de Rossano Brazzi, celle d'Adrienne La Russa est plus opaque. La plupart d'entre-nous la connaissent pour son rôle, royal, dans le Beatrice Cenci du sieur Fulci. D'autres ont su la capter dans "L'Homme qui venait d'ailleurs". Pour le reste, sa carrière fut à la fois dépendante du film de Fulci, jugé profane à l'époque (et longtemps introuvable pour le réalisateur lui-même), ainsi que d'une ambition très mesurée. À peine l'a-t-on aperçue dans quelques séries télé américaines dès 1973 dont "Des jours et des vies", "Baretta", "L'Age de cristal" ou "L'Homme-araignée". Une trajectoire un peu absurde qui la rend à sa manière encore plus passionnante. Pour conclure sur une information certes triviale, qui sait qu'elle fut l'épouse de Steven Seagal de 1984 à 1987 (*) ? Une fois tout le bien dit sur sa prestation, il convient de mentionner la présence d'acteurs et d'actrices plus rompus au genre (ou pas loin, celui dans lequel nous fait évoluer Salvare la faccia, qui se situe donc à la croisée de plusieurs genres)...


Nino Castelnuovo est un excellent acteur, capable de tout, ou à peu près. De "Rocco et ses frères" aux "Parapluies de Cherbourg", de l'excellent Le Temps du massacre à Cinq hommes armés, de "L'Emmerdeur" au piteux Nue pour l'assassin (pour rester un peu dans le giallo), il excelle ici en être cynique, se délectant de son chantage et des conversations qui ont lieu autour de lui. Que dire d'Alberto de Mendoza sinon qu'il est égal à lui-même, passe-partout naturel, ici parfait en bellâtre aux dents de morse. On le voit la même année dans Los desesperados, souvent attribué en partie à Lucio Fulci mais entièrement tourné par Julio Buchs. L'acteur va, après celui-ci, enchaîner des gialli (de couleur plus pure) comme Perversion Story, Plus venimeux que le cobra, L'Étrange Vice de Mme Wardh, "La Queue du scorpion" ou Le Venin de la peur. Inutile de parler de ses autres prestations (quid de "La Folie des grandeurs" ?) il n'y a jamais rien à redire sur sa présence et son jeu. Quant à Paola Pitagora, qui prend une part active au sein de ce jeu pervers, elle est parfaite de présence ici et doit, pour aller vite, très vite, sa carrière à un certain Marco Bellochio qui lui confia un rôle important dans "Les Poings dans les poches", un réalisateur qui a su la mettre en avant (et qui, en passant, vient de dépoter à l'heure où j'écris ces lignes un excellent film : "Le Traître"). Mais comme dit ou suggéré avant, Salvare la faccia est une réussite au-delà de la qualité de ses acteurs. En fait, il s'agit d'un petit chef-d’œuvre Pop qui pourtant se moque de son époque, tout en devançant des thématiques à venir et tout en restant en symbiose. Bref, il reste à (re)découvrir et mériterait une sortie dans un package lui rendant pleinement hommage.



Quant au scénario, plutôt ingénieux, on le doit, outre à son metteur en scène, à Renato Polselli (La Maîtresse du vampire, "L'Orgie des vampires", mais aussi les absurdes Delirio Caldo et The Reincarnation of Isabel), et Piero Regnoli (Des filles pour un Vampire et, plus tard, Sangraal. Comme quoi, les additions de non-talents, comme de talents, accouchent parfois de choses qui n'ont pas de prix !
N’oublions pas la partition musicale, signée du méconnu Benedetto Ghiglia (4 dollars de vengeance, "Porcherie", "Oublier Venise", etc. ) , qui contribue à dynamiser l’ensemble. Certains trouveront que Salvare la faccia n'a rien à voir avec un Giallo, ils auront peut-être raison... Quoi qu'il en soit, malgré cette psyché tant mise en avant et bien qu'on tienne notre coupable ou nos coupables (en fait comme pour Une hache pour la lune de miel pour certains), ce n'est pas le genre qui prime ici : il ne s'agit pas de trouver le coupable mais d'assister à une machination et une contre-machination. Peu importe finalement, cela est d'une élégance assez rare pour être signalée ! Et puis finalement est-elle coupable puisque, les pièges tendus, certains protagonistes en tueront d'autres malgré eux !

Petite remarque en conclusion... une chose surprenante à la découverte de Salvare la faccia, c'est qu'il arrive au même moment qu'un autre film qui, à sa manière, certes plus centré sur la sexualité de la beauferie franco-française, lui ressemble étrangement dans sa partie vengeance : le superbe et indémodable "La Fiancée du pirate" de Nelly Kaplan. Étonnant !

 

 

 

Mallox




(*) La minute Closer (merci Valor !) : Certaines sources disent que son mariage avec Seagal a été immédiatement annulé (pour d'autres c'était en 87), vu qu'il n'était pas divorcé de Miyako Fujitani !
Ce qui est amusant aussi (ou pas) c'est qu'il était en même temps avec l'actrice Kelly LeBrock et ils auront un enfant en 87 !

Vote:
 
9.67/10 ( 3 Votes )
Clics: 4637
0

Autres films Au hasard...